Royaume-Uni - Ventes aux enchères

Art contemporain

Londres envoie un signal positif au marché

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 25 octobre 2016 - 1242 mots

Les vacations d’art contemporain de Londres ont enregistré de beaux résultats avec un niveau et un taux de vente élevés, malgré un revers pour l’art italien.

LONDRES - « Cet été, plusieurs spécialistes de maisons de ventes ont beaucoup peiné à réunir des œuvres pour leurs sessions d’art contemporain à Londres », rapporte un connaisseur du marché. Ces grandes vacations n’étaient en effet pas parties sous les meilleurs auspices, subissant à la fois le contrecoup de l’annonce du Brexit et un marché en baisse depuis près d’un an après plusieurs saisons frénétiques. « Les dates de Frieze ayant été avancées d’une semaine, les catalogues ont dû être bouclés plus tôt dans l’été, ce qui a aussi compliqué la tâche », ajoute Paul Nyzam, spécialiste chez Christie’s. Dans ce contexte, les estimations des ventes étaient en recul depuis l’an dernier, certes une très belle saison. Sotheby’s affichait une baisse de 30 %  soit 24-33 millions de livres sterling (1) pour sa vente du soir généraliste à près de 40 %, soit 19,7-28 millions de livres  pour l’art italien, et Christie’s de plus de 40 % (15-22 millions de livres pour sa vente du soir) à 30 % (18-25 millions de livres pour l’art italien). Par ailleurs, les mastodontes habituels étaient moins présents.

Gants blancs pour Leslie Waddington
Pourtant, le commerce a été très actif, du moins lors des ventes générales. Christie’s avait opportunément ouvert la saison avec la session consacrée à la collection du galeriste Leslie Waddington, figure du marché britannique. « Il fallait débuter par Leslie Waddington, c’était la vente la plus désirable de la semaine. Beaucoup de collectionneurs frustrés de ne pas avoir remporté de lots ont pu se reporter sur les sessions ultérieures », indique Paul Nyzam. Avec une vente en gants blancs et un total de 28,3 millions de livres (31,5 millions d’euros), le double de l’estimation basse, la formidable collection du galeriste a en effet envoyé un premier signal positif au marché, couronnant Dubuffet, Agnès Martin ou Calder. Un succès qui confirme, si besoin était, l’appétence des collectionneurs pour des œuvres fraîches sur le marché et à la provenance prestigieuse.

Les ventes du soir ont elles aussi remporté un franc succès. Christie’s a largement dépassé ses estimations, avec un total de 34,2 millions de livres (38 millions d’euros), quand Sotheby’s pulvérisait la sienne, avec son meilleur montant, de 47,9 millions de livres (53,2 millions d’euros), couronnant Basquiat, Gerhard Richter ou Peter Doig. Ce sont peu ou prou les sommes obtenues l’an dernier. À noter, le succès des artistes allemands : Richter, Baselitz ou Sigmar Polke chez Sotheby’s ou Thomas Schütte, Imi Knoebel et Albert Oehlen chez Christie’s.

L’art italien, à l’honneur dans des sessions spécifiques, n’a quant à lui pas remporté le succès escompté : les deux maisons sont restées bien loin du cru exceptionnel de l’an dernier. Pour expliquer les invendus, dont quatre œuvres d’Alighiero Boetti ravalées chez Christie’s, le galeriste Michele Casamonti met en avant : « des estimations parfois sans aucune logique, jusqu’à deux à trois fois trop chères. Pour obtenir des œuvres intéressantes, les maisons vont un pas plus loin que le marché ». Le galeriste explique encore : « Mais il faut par ailleurs noter les prix exceptionnels réalisés par Scheggi, Scarpitta, Burri ou Fontana. Et lorsque certaines œuvres se sont vendues à leur estimation basse, cette dernière était déjà un record mondial ! »

Des noms inhabituels
L’ensemble de ces vacations témoigne de l’affaiblissement de l’offre dans le marché actuel, qui a tendance à se recentrer sur le marché moyen. C’est en partie cette difficulté à décrocher des œuvres majeures qui a poussé Christie’s à ajuster sa stratégie, en proposant des noms inhabituels dans ces grands-messes. Ainsi, étaient présentées des œuvres de l’Écossaise Lucy McKenzie ou de l’Américain Henry Taylor. C’est le jeune Roumain Adrian Ghenie et sa toile Nickelodeon de 2008 qui ont déchaîné les passions, entraînant les enchérisseurs jusqu’au record de 7,1 millions de livres, près de cinq fois son estimation. « Trouver des chefs-d’œuvre n’est pas une tâche facile, surtout dans un contexte économique où l’étau se resserre. Par ailleurs, le marché et les collectionneurs atteignent une saturation sur certains artistes et sont demandeurs depuis 18 mois de nouvelles têtes ou d’une relecture de l’histoire de l’art », confie Paul Nyzam. Si l’offre faiblit, cette session montre que la demande reste forte. Les taux de ventes des vacations du soir sont très élevés : 91 % chez Sotheby’s, du jamais vu depuis 2011, et 90 % chez Christie’s. Chacun notait l’afflux de clients étrangers, asiatiques et américains. Chez Sotheby’s, ils provenaient de 44 pays, 20 % de plus que l’an dernier.

Plusieurs facteurs ont permis d’attirer cette clientèle, et tout d’abord les estimations globalement raisonnables de ces sessions. Ayant tiré leçons des excès récents, les maisons ont également réduit le nombre de garanties – seulement deux œuvres dans chacune des ventes du soir en étaient pourvues – permettant de déverrouiller le jeu des enchères. « Cela permettra aussi de rétablir la rentabilité », rappelle Dominique Sagot-Duvauroux, professeur d’économie à l’université d’Angers. Un autre facteur important pour le succès de ces ventes a été le taux historiquement faible de la livre lié au Brexit, attirant les acheteurs en euro et en dollar. « Cela a incontestablement contribué aux résultats », note Paul Nyzam. « J’ai toujours pensé que le Brexit n’aurait pas de conséquences directes sur le marché de l’art, car il est déjà globalisé depuis longtemps », martèle de son côté Michele Casamonti.
Globalement, les résultats de Londres se sont montrés rassurants alors que ces derniers mois, le volume et le chiffre d’affaires des grandes ventes internationales d’art contemporain avaient fortement baissé : jusqu’à 60 % en juin à Londres et jusqu’à 50 % à New York en mai dernier. Chaque maison se félicitait d’ailleurs en fin de semaine de confirmer par ses résultats la solidité du marché. Le récent rapport Artprice sur l’art contemporain soulignait que son indice des prix avait rebondi de 15 % au premier semestre, grâce à une réorganisation des ventes autour du marché de moyenne gamme (2).

« Le marché s’est assaini. Ce qui continue à se vendre se vend très bien. Mais dès que les œuvres sont plus moyennes ou estimées trop cher, le marché répond moins », constate Paul Nyzam. « Avec New York, ces ventes sont très observées. Nous sommes dans un marché de signaux, susceptibles d’engendrer des changements de comportements. Cette remontée a été très médiatisée, mais il est difficile d’en tirer beaucoup d’enseignements. Rappelons aussi que dans ces périodes de déclin, beaucoup ont intérêt à soutenir le marché. Il faudrait croiser cela avec les résultats de la Fiac et des ventes de New York », explique Dominique Sagot-Duvauroux, prudent. Attendons donc les prochains signaux.

Notes

(1) Toutes les estimations sont indiquées hors frais acheteur tandis que les résultats sont indiqués frais compris.
(2) Rapport Artprice « Le marché de l’art contemporain 2016 » publié le 4 octobre 2016.

CHRISTIE’S

Collection de Leslie Waddington, le 4 octobre
Résultat : 28,3 M £ (31,5 M £)
Estimation : 12-18,5 M £ hors frais
Nombre de lots vendus : 44 sur 44 (100 %)

Art contemporain, vente du soir, le 6 octobre
Résultat : 34,2 M £ (38 M €)
Estimation : 15-22 M £ hors frais
Nombre de lots vendus : 37 sur 41 (90 %)

Art italien, le 6 octobre
Résultat : 18,6 M £ (20,70 M €)
Estimation : 18-25 M £ hors frais
Nombre de lots vendus : 45 sur 59 (90 %)

SOTHEBY’S

Art contemporain, vente du soir, le 7 octobre
Résultat : 47,9 M £ (53,20 M €)
Estimation : 24-33 M £ hors frais
Nombre de lots vendus : 32 sur 35 (91 %)

Art italien, le 7 octobre
Résultat : 23,3 M £ (25,80 M €)
Estimation : 20-28 M £ hors frais
Nombre de lots vendus : 39 sur 46 (85 %)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°466 du 28 octobre 2016, avec le titre suivant : Londres envoie un signal positif au marché

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