Politique

Polémique - Vladimir Medinski

La thèse contestée du ministre russe de la Culture

MOSCOU / RUSSIE

Une partie de la communauté scientifique juge scandaleuse la prétendue thèse sur l’étude de l’histoire nationale du ministre de la Culture russe.

Vladimir Medinski, le ministre russe de la Culture
Vladimir Medinski, le ministre russe de la Culture

MOSCOU - Menacé de se voir ôter son titre de docteur en histoire pour une thèse de piètre qualité, le ministre de la Culture de la fédération russe Vladimir Medinski a obtenu un sursis il y a quelques jours. Le conseil de l’Université de sciences humaines de l’Oural, réuni pour statuer sur la validité de la thèse du ministre, soutenue en 2011, a préféré s’accorder un délai de réflexion jusqu’à l’année prochaine. Dans l’espoir que la polémique retombe. Ou que le ministre soit remercié d’ici-là et que son poids politique soit amoindri. La raison formelle invoquée par le conseil fut l’absence du ministre, en visite officielle au Kazakhstan.

Propagande patriotique
Ministre de la Culture depuis quatre ans, Vladimir Medinski fait partie d’une liste de hauts fonctionnaires, dans le collimateur de la communauté scientifique pour avoir obtenu de manière douteuse leur statut d’universitaire. « La thèse du ministre de la Culture de Russie est un travail de pure propagande qui ne résiste pas à la critique », accuse Pavel Koudioukine, président du principal syndicat universitaire russe. Ce dernier note par exemple que la thèse, intitulée Défauts d’objectivité des savants étrangers dans l’étude de l’histoire russe des XV-XVIIe siècles, repose sur des traductions en russe et non sur les sources originales, ce qui est contraire à l’éthique universitaire. Détail significatif, le jury de cette thèse n’était formé que d’historiens du XXe siècle (et non de spécialistes des XV-XVIIe siècles) et a été dissous peu après la soutenance.

L’historien Ivan Babitsky souligne que la thèse de Medinski est truffée d’affirmations étonnantes telles que : « Les textes orthodoxes russes sacrés étaient en langue vernaculaire, donc compréhensibles par tout un chacun, contrairement au latin des religions chrétiennes en Europe. » Il ignore donc aussi bien l’existence du slavon liturgique [ndlr, langue liturgique de l’église orthodoxe] sur lequel est basée l’orthodoxie russe, que la traduction par Luther de la bible en allemand.

Mais c’est surtout sa conception singulière du travail d’historien qui choque. Dans les premières pages de la thèse, il explique que : « Le critère pour une évaluation positive ou négative du fait historique est : sert-il l’intérêt du pays et du peuple ? Peser dans la balance des intérêts nationaux de la Russie forme la norme absolue de la vérité et la pertinence du travail historique. » Pour étayer ses propos, il s’appuie sur « le célèbre scientifique et penseur russe Oleg Platonov ». À défaut de faire partie de la communauté des historiens, ce dernier est fameux pour ses pamphlets aux titres explicites : Mystère de l’iniquité. Le judaïsme et la franc-maçonnerie contre la civilisation chrétienne, Les mystères des Protocoles des Sages de Sion, ou encore Fléau de Dieu. Grandeur et tragédie de Staline.

« Les 28 de Panfilov »
Vladimir Medinski, qui préside également la très influente Société d’histoire militaire russe, a contre-attaqué sur le terrain politique, qui lui est plus familier que celui de la science. Et plutôt que sa thèse, il défend un film (financé par le ministère de la Culture) relatant un épisode de la Seconde Guerre mondiale universellement considéré comme inventé. Les 28 de Panfilov, qui sortira le 24 novembre sur les écrans russes, narre les exploits d’une poignée de combattants ayant participé à la défense de Moscou en 1941. Or, les archives d’État de la fédération russe ont démontré que « l’exploit des hommes de Panfilov » a été fabriqué par un journaliste contemporain des faits pour les besoins de la propagande. Dès 1948, une enquête interne de l’armée rouge avait démontré la falsification des faits. Cela n’a pas empêché Vladimir Medinski de prendre violemment à partie ses détracteurs. « Si cette histoire était inventée du début à la fin, même si Panfilov n’avait pas existé et qu’il ne s’était rien passé, il s’agit d’une légende sacrée à laquelle il ne faut tout simplement pas toucher. Ceux qui le font sont des ordures finies », a déclaré le ministre de la Culture à l’agence Interfax.

Risée de l’intelligentsia
L’intelligentsia russe s’est élevée contre les méthodes et les vitupérations du ministre Medinski. « Le ministère de la Culture s’est transformé en blanchisserie et les honnêtes gens sont désormais considérés comme des ordures finies », a réagi l’éditorialiste Anton Orekh. Il fait référence à une vieille plaisanterie illustrant le caractère philistin des fonctionnaires de la culture russe, dans laquelle une personne désirant appeler la blanchisserie compose par erreur le numéro du ministère de la Culture et s’entend répondre « Non, bordel de merde, c’est le ministère de la Culture ! » « Notez que l’expression [ordures finies] ne doit pas être considérée comme une insulte, poursuit Orekh, mais comme une maîtrise magistrale de la langue, comme l’a expliqué [le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov] ». Une manière pour Orekh de souligner que Medinski bénéficie toujours du soutien du Kremlin.

Connu pour ses prises de positions ultra-conservatrices en ligne avec celles du président Vladimir Poutine, Medinski voit sa légitimité contestée aussi bien par le milieu culturel que par la communauté scientifique. Vladimir Medinski n’a pas suivi de cursus d’historien. Il a obtenu un diplôme de journaliste, puis a soutenu une thèse de « politologie » en 1999, pour laquelle il a déjà été accusé de plagiat. Ses premiers travaux d’historiens ont été publiés deux ans avant le soutien de sa thèse d’histoire. Medinski se dit auteur de cinq monographies d’histoire, mais personne ne les a vues, d’après le quotidien Novaïa Gazeta, qui note qu’elles sont absentes du registre de la bibliothèque nationale russe.

Titre original de l'article : "La thèse contestée de Medinsky"

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Vladimir Medinski, le ministre russe de la Culture - Courtesy photo Le Kremlin

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°466 du 28 octobre 2016, avec le titre suivant : La thèse contestée du ministre russe de la Culture

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