Sculpture

Liz Magor réveille les objets

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2016 - 446 mots

Au Crédac d’Ivry, l’artiste canadienne brouille les pistes entre l’objet, sa physicalité et sa représentation, racontant ainsi sa propre histoire des formes.

IVRY-SUR-SEINE - French from France (2013) proclame le cartel. L’œuvre, une vieille mais élégante couverture de laine bleue pliée sur un cintre accroché au mur, laisse s’exhiber de l’un de ses plis de jolis carreaux à l’ancienne mode et une étiquette mentionnant la marque Girlaine, à Auteuil. Au Canada anglophone d’où est originaire Liz Magor, « French from France » désigne avec une pointe de supériorité les « vrais » Français, ceux de la vieille Europe, comparés aux francophones locaux. Le vrai face au faux, voilà l’une des dichotomies qui soutient le travail de la sculptrice de Vancouver. L’exposition que lui consacre le Crédac-Centre d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine, avec une vingtaine d’œuvres, est à cet égard éclairante. Elle joue à satiété des objets et de leur nature, brouillant les pistes, parfois, tout en se faisant densément loquace, toujours.

Car les associations d’objets auxquelles elle s’adonne avec une minutie manifeste sont chargées d’un potentiel évocateur. À ceci près que les éléments de vocabulaire employés déjouent les certitudes, puisque les matériaux utilisés ne sont pas toujours ce qu’ils sont. En adepte des caoutchouc, silicone et autres polymères, l’artiste prend un malin plaisir à procéder à des moulages avec un sens scrupuleux du détail, s’amusant ainsi avec la notion même de réel. Mais ce qui étonne surtout dans ce travail fondamentalement sculptural, c’est une capacité à procéder à des arrêts sur image, en interpellant à la fois la chose et son apparence, sans toujours rendre clair ce qui est quoi.

Le réel malmené
Née en 1948, Liz Magor est de l’exacte génération de cette scène de Vancouver qui a renouvelé le regard photographique, Jeff Wall en tête, de deux ans son aînée. Comme lui et d’autres, elle procède à une interrogation de l’image, ralentie, arrêtée, mise en scène, en jouant avec la notion même de réel.
Dans une monographie publiée l’année dernière par Triangle France, Liz Magor. The Blue One Comes in Black, Lisa Robertson a ces mots, limpides : « Le rapport de la forme avec l’image est le suivant : toute forme n’est pas une image, cependant chaque image s’approprie, rejoue et reconfigure une histoire des formes. » Comme lorsque Liz Magor, ainsi qu’il est donné à voir dans une exposition concomitante, « Humidor », à la galerie Marcelle Alix, à Paris (jusqu’au 29 octobre), va modestement photographier un intérieur qu’elle voit se charger d’une dimension sculpturale. Non seulement alors une boucle semble bouclée, mais ce travail s’impose dans une infinie faculté de laisser ouverte, parce qu’irrésolue, une relation au réel entre les formes et leurs images.

LIZ MAGOR. THE BLUE ONE COMES IN BLACK

jusqu’au 18 décembre, Centre d’art contemporain d’Ivry-Le Crédac, La Manufacture des œillets, 25-29, rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01 49 60 25 06, www.credac.fr, tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h, entrée libre. Monographie coéditée par Triangle France and Mousse Publishing, 170 p., 28 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Liz Magor réveille les objets

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