Ventes aux enchères

Entretien

Olivier Lange : « Drouot reste le premier hôtel des ventes en France »

Directeur général de Drouot Patrimoine

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2016 - 2039 mots

PARIS

Le directeur général de Drouot, Olivier Lange, explique le modèle de développement de l’hôtel des ventes et révèle ses projets majeurs.

Olivier Lange
Olivier Lange
Photo Marie-Pierre Moinet

Après une première expérience au sein de cabinets d’audit, Olivier Lange (52 ans) a intégré en 2002 le groupe Drouot en tant que directeur administratif et financier d’Auctionspress avant de prendre en 2011 la direction générale de Drouot Patrimoine. Il est notamment l’artisan de la réorganisation importante de la structure. Il explique la stratégie du groupe.

Comment accueillez-vous le jugement du procès des « cols rouges » ?
Je ne peux être que satisfait. Drouot a été reconnu en sa qualité de victime et l’UCHV [l’Union des commissionnaires de l’Hôtel des ventes] a été condamnée pour association de malfaiteurs et purement et simplement dissoute. Dès que l’affaire a éclaté, nous avions pris la décision – difficile – de nous séparer des « cols rouges ». Ce jugement prouve que nous avons eu raison. Par ailleurs, deux commissaires-priseurs ont été relaxés et deux autres, ainsi qu’un dirigeant de maison de ventes, ont été condamnés. Ainsi, sur 110 commissaires-priseurs opérant à Drouot, seule une poignée a été concernée par cette affaire. Celle-ci a nui à l’image de Drouot, et c’est justice que l’hôtel des ventes soit reconnu comme victime. Plusieurs prévenus ont interjeté appel de cette décision. Drouot a donc décidé de faire appel à son tour pour continuer à défendre ses intérêts devant la cour d’appel.

Qui dirige Drouot ?
En tant que directeur général, je prends et j’assume toutes les décisions opérationnelles concernant Drouot. Drouot est une entreprise et fonctionne comme telle, même si sa structure de gouvernance peut paraître complexe. Cette centralisation des décisions opérationnelles est indispensable dans un contexte où la rapidité d’exécution est la clef. Je travaille sous le contrôle du conseil d’administration de Drouot Patrimoine présidé par Me Georges Delettrez, et d’un conseil de surveillance présidé par Me Alexandre Giquello et appuyé par un directoire dirigé par deux commissaires-priseurs à Drouot Enchère. Ces organes se réunissent très fréquemment.
Il est fondamental que les décisions opérationnelles majeures soient anticipées, éclairées et validées par les professionnels qui opèrent à Drouot : nous sommes une entreprise dont la « matière première » est très spécifique et requiert un regard expert, une expérience particulière. À cet égard, le fait que les commissaires-priseurs s’impliquent est un atout majeur de notre maison pour garder le contact avec le marché, les acheteurs, les grandes tendances.
Rappelons que Drouot est constituée d’une holding – Drouot Patrimoine – et de quatre filiales correspondant à des activités très spécifiques avec des gouvernances dédiées : Auctionspress, la société éditrice de notre hebdomadaire du marché, La Gazette Drouot ; Drouot Enchère qui gère les lieux de ventes, principalement l’hôtel Drouot et l’hôtel des ventes Drouot Montmartre ; Drouot SI, notre société IT qui développe des services informatiques pour les OVV [opérateurs de ventes volontaires]. Drouot Patrimoine, appartient aux 110 commissaires-priseurs qui, au travers de leurs structures d’OVV, doivent détenir 7 000 actions d’ici à la fin 2017.
Cécile Bernard, qui avait un poste de coordination avant de nous quitter récemment [pour Sotheby’s, NDLR], ne sera pas remplacée.

La holding Drouot Patrimoine, qui consolide les résultats de toutes les entités, avait affiché un bénéfice net de 480 K€ en 2014. Quels sont les résultats pour 2015 ?
Le chiffre d’affaires est en baisse en 2015 principalement parce que nous avons procédé à d’importants investissements dans l’hôtel Drouot afin d’offrir à nos clients des standards d’accueil améliorés et une atmosphère plus haut de gamme. Ceux qui pénètrent aujourd’hui dans l’hôtel des ventes voient le changement et nous en félicitent : plus d’harmonie visuelle, plus de lumière, plus d’espace. Dans le cadre de notre groupe, l’indicateur qui mesure le mieux notre rentabilité est le résultat courant consolidé avant impôt, qui était de 3 millions d’euros en 2014 pour 2,3 millions en 2015, soit 9 % du chiffre d’affaires.
Notre activité d’édition a légèrement fléchi, mais après des années de baisse des ventes en kiosque, la diffusion de La Gazette se stabilise. Auctionspress a réalisé en 2015 un bénéfice net de 2,3 millions d’euros, sensiblement le même qu’en 2014. Dans un contexte de crise de la diffusion pour la presse, ce chiffre est honorable et le rôle joué par la Gazette en termes d’image du marché de l’art et des ventes aux enchères est majeur.

Les résultats de « La Gazette » et de l’hôtel semblent très dépendants de la situation du marché de l’art en général ; comment assurer la croissance du groupe ?
Le secret est de moderniser sans cesse notre offre de services et de la diversifier. Ainsi, Drouot SI est l’un des relais de croissance que nous développons. Cette filiale créée en 2011 a lancé les plateformes Internet « DrouotLive » et « DrouotOnline » : c’est un succès considérable, qui a littéralement changé l’approche des ventes et dessine un avenir nouveau. Drouot SI est aussi une « Web agency » qui réalise des sites Web pour les maisons de ventes, qu’elles soient actives à Drouot ou non. C’est un nouveau savoir-faire auquel nous sommes très attachés. Cette filiale a une croissance très rapide. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 1,8 million d’euros en 2015 contre 1,6 million d’euros en 2014 pour un bénéfice en hausse de 35 % en 2015 par rapport à l’année précédente. Dans quelques années, je pense que cette filiale dégagera un chiffre d’affaires de 5 à 10 millions d’euros.
DrouotLive a confirmé sa place de leader du marché en ligne des objets d’art en France en 2016 : à ce jour, plus de 240 sociétés de ventes représentées, 2 000 ventes retransmises, plus de 55 millions d’euros d’adjudications attendues.
Ceci dit, nous avons encore des marges de progression dans nos métiers traditionnels, ainsi le taux de location des salles à Drouot est de 80 %.

Justement, le montant des adjudications à Drouot ne cesse de baisser, passant de 480 millions d’euros en 2011 à 375 millions en 2015. Comment allez-vous redresser la barre ?
Drouot reste le premier hôtel des ventes en France, loin devant Christie’s et Sotheby’s. On l’oublie trop souvent. Son produit se stabilise autour de 375 millions d’euros. Si le départ de certains opérateurs a fait baisser le produit des adjudications, nous avons pu constater avec intérêt la venue de nouveaux opérateurs qui considèrent Drouot comme une place de marché de l’art de référence et une structure qui leur permet de se développer sous une marque reconnue et légitime.
C’est un lieu vivant et d’échange unique où passent près de 5 000 personnes par jour, avec des ventes tous les jours représentant plus d’une centaine de spécialités, un restaurant, et un hall d’accueil rénové cet été pour mieux accueillir notre public.
Le modèle Drouot, dont la principale caractéristique est de ne pas être un opérateur intégré comme nos concurrents, peut parfois apparaître comme une faiblesse, mais il fait aussi sa force. Drouot, ce sont 74 opérateurs plus ou moins en compétition entre eux, une émulation qui incite à aller chercher des affaires dans toutes les disciplines. Les ventes aux enchères, ce ne sont pas uniquement les enchères millionnaires en art contemporain, c’est d’abord un volume de 500 000 objets que nous dispersons chaque année dans l’intérêt des vendeurs et acheteurs. Nous voulons offrir les meilleures prestations à nos opérateurs, le numérique, le transport, et c’est pour cela que deux très dynamiques maisons de ventes de province nous ont rejoints récemment : De Baecque à Lyon et Damien Leclère à Marseille.

Concernant le transport, de quoi s’agit-il ?
Nous voulons offrir un meilleur service de transport des objets adjugés. Amazon a fortement augmenté les attentes des clients en général et nous devons nous adapter à cette demande et ajuster notre offre à nos clients de plus en plus nombreux sur nos plateformes numériques – plus de 110 000 inscrits à ce jour. Aujourd’hui Drouot sert de centrale pour aller chercher des transporteurs, demain nous souhaitons contracter avec un opérateur unique de niveau international. Ce n’est pas facile parce que nos objets ne sont pas des objets manufacturés et qu’il faut soigneusement les emballer, ce qui coûte cher, mais il est important que les acheteurs puissent commander un transport de qualité au meilleur prix sur Internet via une interface conviviale et se faire livrer partout dans le monde.

Vous parliez de Drouot SI ; où en sont les activités numériques ?
C’est précisément un des points forts de Drouot pour l’avenir. Nous avons développé notre propre plateforme de vente en « live » [en direct en ligne] qui a adjugé près de 50 millions d’euros en 2015, soit 37 % du marché des ventes en « live ». Nous sommes clairement leader en France sur ce canal, toutes les vacations organisées à Drouot sont retransmises sur Internet. Les ventes purement « on line » sont plus modestes, près de 3 millions d’euros en 2015, mais progressent très vite ( 62 %). Ces deux services ne sont pas réservés aux seuls opérateurs de Drouot, 60 % des opérateurs utilisant la plateforme sont hors Drouot et 10 % de ces 60 % sont des maisons de ventes étrangères. Nous allons prochainement lancer une application smartphone pour les acheteurs. Mais nous voulons aller plus loin encore avec « Drouot Digital », une plateforme Internet « business to business » (B to B) qui permettra à nos opérateurs de bénéficier de tous les canaux de dispersion possibles, dont le gré à gré quand l’objet est adapté à ce type de vente, comme 1stdibs a su le développer. Drouot Digital proposera également des campagnes de marketing numérique, notamment à l’international. Cette complémentarité, sous une marque forte, entre les ventes en salles et les différents canaux numériques est un atout pour nos opérateurs.

Comment aider vos opérateurs dont les clients demandent des avances ou garanties ?
Nous y travaillons, Drouot a la capacité de discuter avec les banques et ainsi d’obtenir des lignes de crédit, c’est un projet à moyen terme.

Drouot offre de plus en plus ses services aux maisons de ventes extérieures. Est-ce bien accepté par les opérateurs de Drouot ?
Oui, car c’est leur intérêt notamment dans le numérique. Plus il y aura de maisons de ventes extérieures qui utiliseront Drouot Online, Live ou Digital, plus ces sites attireront des visiteurs – acheteurs.
Cette synergie bénéficie à tous, la force d’une plateforme provient de sa légitimité et des garanties apportées.

Le fait de ne pas être une maison de ventes intégrée n’est-il pas au fond plus pénalisant que profitable ?
C’est la tradition de Drouot et nos clients y sont habitués. Ils comprennent très bien cette organisation et s’y retrouvent. Bien entendu, cela peut comporter quelques limites, puisque nous ne pouvons pas nous substituer aux opérateurs dans leurs démarches commerciales, par exemple dans l’art contemporain ou pour les artistes français. Mais dans le même temps, cette situation permet à chaque maison de ventes de conserver son âme, ses savoir-faire, sa personnalité – les clients y sont très attachés. Cela fait partie intégrante de l’identité de Drouot : nous sommes dans la dimension humaine et dans la proximité. Y renoncer au profit d’une intégration massive serait suicidaire. Cependant, il est possible de considérer une intégration accrue dans certains domaines, afin de garantir de meilleures synergies. Nous y travaillons dans le respect de l’« ADN Drouot ».

Vous êtes très discret dans les médias et dans le milieu. Est-ce volontaire ?
Je ne suis pas commissaire-priseur et n’ai aucune raison de m’exprimer sur ce qui est le cœur de notre métier : les ventes, les œuvres d’art, le marché. Les commissaires-priseurs font cela remarquablement, et une nouvelle génération est en train de prendre le relais avec talent. Pourquoi m’y substituerais-je ? En revanche, je suis bien présent lorsqu’il s’agit de défendre l’institution, comme j’ai eu à le faire lors de l’affaire des « cols rouges », où j’ai mené le combat pied à pied, chaque jour – parfois dans les coulisses, parfois à l’avant-scène. D’une manière générale, par tempérament et par respect de l’institution, je ne cherche pas la lumière. Mais je réponds présent lorsqu’on m’interroge sur le fonctionnement de notre belle institution et tous ceux qui se plaisent à l’attaquer me trouveront sur leur chemin.

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Olivier Lange © Photo Marie-Pierre Moinet

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Olivier Lange : « Drouot reste le premier hôtel des ventes en France »

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