Art urbain

Zevs, le pouvoir de l’ombre

Par Stéphanie Lemoine · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2016 - 776 mots

L’artiste graffeur français, invité à investir le château de Vincennes, confronte ses obsessions à l’histoire mouvementée du bâtiment historique.

VINCENNES - « À Vincennes l’ombre, à Versailles la lumière. » Difficile de ne pas accréditer ce constat de Zevs (prononcez « Zeus » ; de son nom « Aguirre Schwarz ») : du palais édifié par Louis XIV à l’ouest de Paris, le château de Vincennes constitue à la fois le symétrique et le dégradé. Demeure royale dévaluée en prison puis en caserne, l’édifice semble voué à se voir préférer Versailles, qu’il n’égale ni en faste architectural, ni en matière de programmation culturelle, ni en nombre de visiteurs. Philippe Bélaval, président du Centre des musées nationaux, le confirme : « C’est bien simple, personne ne vient. »

Ce défaut d’intérêt n’est sans doute pas étranger au désir de Zevs, ancien et tenace, d’y organiser une exposition qui occupe l’ensemble du monument et non sa seule entrée, comme il l’avait fait à l’occasion de la Nuit blanche en 2010. Depuis la fin des années 1990, cet artiste issu de la scène graffiti s’emploie à révéler ce qui se cache et à flouter ce qui s’exhibe. Chez lui, le graffiti s’exécute au Kärcher ou à l’encre invisible UV, les logos se liquident et les pubs se kidnappent. Rompu à l’intervention contextuelle, Zevs a par ailleurs ce « génie du lieu » propre à l’art urbain, et sait tirer parti des contraintes. À cet égard, le désintérêt frappant le château de Vincennes semble avoir davantage été pour lui une opportunité à saisir qu’un problème à résoudre. En l’occurrence, elle lui permet de s’offrir à 40 ans à peine une monumentale rétrospective dans un écrin digne du château de Versailles, sans jouir pour autant de la notoriété d’un Jeff Koons ou d’un Takashi Murakami.

Échos et mises en abyme
À l’exercice compliqué, et souvent décevant, du dialogue entre art contemporain et patrimoine, il répond d’autant plus brillamment qu’il connaît bien les lieux et s’était déjà prêté à ce genre de vis-à-vis, en 2008 à la Ny-Carlsberg Glyptotek de Copenhague. Entre l’œuvre de Zevs et l’histoire du château, « Noir Éclair » tisse un réseau de références, d’échos, d’éclipses et de mises en abyme aussi vertigineux que le donjon où la plupart de ses œuvres sont présentées. De même que le répertoire de l’artiste et ses procédés habituels (détournement, appropriation…) acquièrent dans ce contexte un éclairage nouveau, les attaques de Zevs contre les images du pouvoir et le pouvoir des images sont ici redoublées par la nature de l’édifice et ses affectations successives. Comme souvent chez l’artiste, cette double mise en lumière prend les formes du paradoxe et du contrepoint – d’où l’oxymore du titre de son exposition. Si Zevs signale d’abord Vincennes comme un lieu de pouvoir dont il souligne la parenté avec les grandes marques contemporaines, c’est pour aussitôt destituer les attributs symboliques de la royauté. Parmi les pièces maîtresses de « Noir Éclair », figure ainsi un distributeur automatique, Machination, où sont disposées des assiettes en porcelaine à l’effigie de révolutionnaires passés sous la guillotine. À intervalles réguliers, une assiette tombe avec fracas et rejoue l’exécution. Un étage plus haut, Zevs expose une copie en bronze du buste de Louis XIV par le Bernin. Le visage est barré d’une balafre, résultat d’une exposition prolongée au four solaire de Font-Romeu : le souverain s’est littéralement brûlé à son propre éclat.

À l’inverse, c’est à un simple graffiti de prisonnier (écrivant les « U » comme des « V », se plaît à souligner l’artiste) qu’il revient de résumer la dialectique de l’ombre et de la lumière à l’œuvre dans l’exposition : « Heureux les yeux fermés aux choses extérieures et ouverts aux choses intérieures », y lit-on. Évoquer la période carcérale du château achève ainsi de renverser les rôles et les hiérarchies. Un graffeur en prison sans en être prisonnier, quel savoureux pied de nez !

De fait, l’écheveau de paradoxes tissé dans « Noir Éclair » offre à Zevs de s’instituer maître du jeu. Les nombreuses références à Léonard de Vinci, dont l’artiste détourne le monogramme jusque dans la (fausse) boutique qui clôt l’exposition, et à Daniel Buren, convoqué aussi bien sur la façade que dans le mobilier, vont dans ce sens : en inscrivant l’artiste dans cette double filiation, elles donnent à lire sa rétrospective comme un sacre. Signe de cette prise de pouvoir : à côté de la salle du conseil, une machine propose au visiteur de transformer une pièce de cinq centimes en médaille frappée des logos de Zevs, qui s’arroge ainsi le privilège royal de frapper la monnaie. Le Roi est nu ? Vive l’artiste.

ZEVS, Noir Éclair

jusqu’au 29 janvier 2017, château de Vincennes, 1, av. de Paris, 94300 Vincennes, tél. 01 48 08 31 20, tlj 10h-17h, www.zevs-noireclair.fr, entrée 8,50 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Zevs, le pouvoir de l’ombre

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