Marseille

L’interprêtation du « Rêve » par les artistes

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2016 - 788 mots

Fantasme, inconscient, cauchemar…, l’exposition du Musée Cantini propose une déambulation à la fois pédagogique et ouverte, réunissant principalement des symbolistes et des surréalistes.

MARSEILLE - Comment, dans une exposition thématique, éviter l’accumulation, le trop-plein? Parcours chronologique, parcours « typologique », les deux à la fois ? En l’espèce, la question est d’autant plus difficile que le Musée Cantini s’attaque à un thème qui file entre les doigts, qui refuse de se plier à une quelconque articulation logique, à savoir « le Rêve ». Si le parcours proposé semble au début un peu convenu (« Sommeil », « Nocturne », « Rêve »…), ce découpage en chapitres ne résiste pas à la polysémie des œuvres. En réalité, la manifestation est montée à la façon d’une promenade, permettant au spectateur tantôt de suivre les panneaux pédagogiques, très clairs, tantôt de voguer au fil de ses pensées.

Tout commence pourtant par une injonction, « Rêvez ! », sous la forme d’une écriture tremblante en néons de couleur. (Claude Lévêque, Rêvez, 2008). Le long couloir qui suit, à la couleur des murs un peu fanée, n’est pas très engageant. Les œuvres, accrochées à la queue leu leu, forment une suite de dormeuses, qui vont du symbolisme (Odilon Redon, Profil de lumière, 1881) à la splendide Dormeuse aux persiennes de Picasso (1936), en passant par Félix Vallotton et Chagall, dont Le Songe de Jacob (1966) figure ici un des rares êtres masculins plongé dans le sommeil. À croire que les hommes ne dorment pas.

Puis, dans une grande salle, les œuvres se déploient en beauté. « Rêve », « Nocturne », les deux sections se court-circuitent et tant mieux, car on passe de l’une à l’autre sans s’en apercevoir. Avec les deux paysages nocturnes de Léon Spilliaert, l’atmosphère reste grisâtre, les teintes en demi-ton permettent à peine de distinguer les composants simplifiés à l’extrême (Le Phare d’Ostende vu de l’estacade, la nuit [1907], Plage au clair de lune, 1907). Non loin de Spilliaert, un autre symboliste belge, moins connu en France, William Degouve de Nuncques (1867-1935). Son œuvre représente une forêt mystérieuse, dont seules sont éclairées les racines tentaculaires et inquiétantes. Le titre, La Forêt lépreuse (1898), n’est pas rassurant et on peut tout à fait imaginer cette toile dans une autre section, celle dévolue au cauchemar. Cependant, les artistes qui règnent dans cette salle et dans la majeure partie de l’exposition sont les surréalistes. Outre que le musée possède une collection importante de représentants de ce mouvement, c’est leur fascination pour l’inconscient et pour l’interprétation des rêves comme étant la réalisation d’un désir qui explique cette prédominance. Ainsi défilent Max Ernst, Dalí, Magritte, Delvaux et même Tàpies (La Sonde du feuillage, 1950).

On y croise également Yves Tanguy et sa version du théâtre onirique, proche de la reconstitution d’un rêve. Ses toiles se remplissent rapidement d’« êtres » indéterminés qui prolifèrent sur une sorte de fond marin ; une cohue minérale de figures articulées, isolées, des organes issus de créatures résiduelles plus ou moins dépecées. Le regard du spectateur se perd dans cet espace qui fuit les repères fixes (L’Inspiration, 1929). Par contre, les quelques Félix Labisse (1905-1982) qui émaillent le parcours sont un bon exemple d’un surréalisme kitsch. Les commissaires plaident le devoir de la découverte, le spectateur a le droit d’être moins convaincu.

Miró dans son élément
Vient le morceau de bravoure, les trois Miró de format monumental, composant un ensemble exceptionnel. (Femme-oiseau I, Femme-oiseau II, Femmes et oiseaux, tous de 1964). La rencontre (l’hybridation ?) femme-oiseau, sujet récurrent chez l’artiste catalan, se situe à la croisée de l’érotisme et de l’envolée, autrement dit dans le transport amoureux. Ses « peintures de rêve » (Jacques Dupin) sont comme les expressions condensées d’une poésie personnelle et universelle. On peut passer rapidement sur le chapitre « Hallucination », moins pertinent, surtout quand y figurent côte à côte les dessins mescaliniens de Michaux et les vibrations optiques de Vasarely – des œuvres et des artistes que tout sépare.

Le trajet, toutefois, se poursuit inévitablement avec l’autre face du rêve, le cauchemar. Le symbolisme revient avec Alfred Kubin et son monstrueux crâne (L’Horreur, 1903), et le surréalisme avec Victor Brauner chez qui une femme se fait déchirer par un insecte (Le Ver luisant, 1933). Il est temps de se réveiller en douceur. Peut-être avec les sonorités délicates de l’installation de Pierre Huyghe (Le Carillon, d’après « Dream » de John Cage, 1997). En se souvenant de la phrase du poète anglais W. B. Yeats : « Marche doucement, car tu marches sur mes rêves. »

Le Rêve

Commissaires : Christine Poullain, directrice des Musées de Marseille ; Guillaume Theulière, adjoint à la directrice ; Olivier Cousinou, conservateur au Musée Cantini
Nombre d’œuvres : 135

Le Rêve

jusqu’au 22 janvier 2017, Musée Cantini, 19, rue Grignan, 13006 Marseille, tél 04 91 54 77 75, musee-cantini.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 10€. Catalogue, éd. RMN, 192 p, 35 €.

Légende Photo :
Pablo Picasso, Dormeuses aux persiennes, 1936, huile sur toile, Musée Picasso, Paris. © Photo : RMN (musée Picasso de Paris)/Jean-Gilles Berizzi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : L’interprêtation du « Rêve » par les artistes

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