Italie - Biennale

Venise, l’architecture adopte un profil bas

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2016 - 1358 mots

La 15e édition de la Biennale de Venise contraste avec les précédentes en reconsidérant les projets plus modestes et les pratiques vernaculaires.

VENISE - L’architecture ferait-elle son mea culpa ? La 15e Biennale d’architecture de Venise, en tout cas, oui. L’édition 2016, qui a lieu jusqu’au 27 novembre, fait en effet la part belle à une collection de projets « modestes », antithèses parfaites de ces « gestes (plus ou moins) architecturaux » – Signature forms, en anglais – qui, ces dernières années, se sont multipliés à travers la planète. Elle est cornaquée par le Chilien Alejandro Aravena, 49 ans, maître d’œuvre de l’année assurément car, outre son poste de directeur de la présente Biennale, il a aussi décroché, le 13 janvier dernier, le Pritzker Prize 2016, l’équivalent du Prix Nobel en architecture. Une pointure donc qui, en choisissant comme thème Reporting from the Front – soit « Nouvelles du front » – a délibérément opté pour la métaphore militaire : « Il y a encore de nombreux combats à mener et à gagner, ainsi que des frontières à élargir, afin de pouvoir améliorer la qualité de l’environnement constructible et, par conséquent, la qualité de vie des habitants, estime l’architecte. De plus en plus de gens sur notre planète sont toujours à la recherche d’un lieu de vie décent et les conditions pour y parvenir se compliquent de jour en jour. Reporting from the Front veut montrer à un public plus large ce que signifie améliorer la qualité de vie (…) ». Hormis l’Italie, pays hôte, la Biennale enregistre, cette année, 63 participations nationales – dont quatre nouveaux venus : le Nigeria, les Philippines, les Seychelles et leYémen – déployées à la fois dans les Pavillons historiques des Giardini, à l’Arsenal et dans divers lieux de la cité.

Des lieux ordinaires
« Modestie » oblige, on ne s’étonnera point de voir exhibées des propositions qui « répondent aux grands défis sociaux, écologiques et politiques du moment ». La liste est loin d’être exhaustive : crise économique, déplacements de populations, dégradation et insécurité urbaine, surpeuplement, recyclage, aide humanitaire, sans oublier les catastrophes naturelles avec, en premier lieu, les tremblements de terre, comme celui de magnitude 6,2 qui a touché le centre de l’Italie, le 24 août, et qui a poussé les organisateurs de la Biennale à reverser l’entière recette du 28 août au 4 septembre aux territoires touchés.

Le Chili, patrie du patron de la Biennale, donne d’ailleurs le ton de cette édition en exposant, sous le titre Against The Tide [« Contre la vague » ou plus imagé « À contre-courant »], une série d’« humbles » projets, tel ce réservoir d’eau signé Carolina Guerra, à Pencahue, dans une scénographie faite de métal tordu et rouillé, restes de maisons emportées par le séisme et le tsunami de 2010. La France se fond également dans le moule et « rend compte des lieux ordinaires », comme la maison-grange de Jean-Christophe Quinton à Cagny, dans le Calvados. Avec Making Heimat [« Faire Patrie »], l’Allemagne, qui a accueilli un million de réfugiés en 2015 montre, elle, diverses propositions d’accueil, dont celle qu’a livrée Wulf Bentlage, en mai, à Francfort : une résidence de 350 personnes constituée d’habiles modules superposés, dont la durée de vie a été fixée à trois ans.

Moult participants prônent, à l’envi, une « architecture de proximité », favorisant des « systèmes participatifs », comme le Pavillon iranien, avec cette recherche sur le quartier Oudlajan, à Téhéran : « Nous croyons en l’importance de contacts étroits avec des associations et des groupes locaux actifs pour développer des plans plus efficaces pouvant être mis en œuvre par les citoyens eux-mêmes. » Idem, au Royaume-Uni, avec le travail du groupe Assemble Studio.

Le Chinois Zhang Ke (Standard Architecture), lui, se bat contre la méthode de la tabula rasa en vigueur dans son pays, illustrée par la destruction des Hutongs, ces maisons, ruelles et passages étroits traditionnels érigés sous la dynastie des Yuans (1279-1368). Dans quelques micro-espaces du Cha’er Hutong, à Pékin, il a créé une bibliothèque et un centre d’art pour enfants.

Moins d’espace constructible
Bonne nouvelle : les projets de construction d’édifices consacrés à l’enseignement sont légion. Ainsi en est-il en Thaïlande (neuf écoles à reconstruire suite au séisme de Chiang Rai, en 2014), au Brésil (la Escola Novo Mangue à Recife par O Norte/Oficina de Criação), en Afrique du Sud (Luyanda Mpahlwa a construit, en deux ans, 50 écoles autour de la rivière Kei) et au Pérou (avec le passionnant projet Unit Matrix, bâtiments modulaires développés pour la zone amazonienne par le duo Elizabeth Añaños et Sebastian Cilloniz).

Dans plusieurs grandes métropoles, le manque d’espace constructible est de plus en plus critique, contrainte qui fournit aux architectes l’occasion de démontrer leur virtuosité, comme au Japon. À la mort de son grand-père, Fuminori Nousaku a démonté son antique maison en bois, devenue trop grande pour sa grand-mère, et conservé les tuiles vernissées du toit pour reconstruire trois entités séparées, dont l’une peut désormais être louée. Idem en Corée du Sud, où un slogan affirme « Les contraintes subliment la créativité », étalant l’inventivité de ses maîtres d’œuvre pour maximiser la surface habitable, malgré deux handicaps : l’hyperdensité – à Séoul, l’aire métropolitaine accueille près de la moitié de la population du pays – et des normes urbanistiques rigides. Autre solution : la réutilisation de bâtiments existants. L’Espagne en montre de subtils exemples, tel le Musée des beaux-arts des Asturies, à Oviedo, signé Francisco Mangado.

Une surprise enfin, sur l’île de la Giudecca : le pavillon du Portugal s’est logé au rez-de-chaussée d’un édifice à l’abandon du Campo di Marte. Le chantier de ce bâtiment de logements sociaux, signé par la star lusitanienne de l’architecture Alvaro Siza, était interrompu depuis… 2010. Le maître d’ouvrage, ATER (Azienda territoriale della casa per la Provincia di Venezia), a promis de relancer le chantier en vue de son achèvement. L’architecture est non seulement affaire de modestie, mais encore et toujours, de patience.

Biennale

Directeur de la 15e Biennale internationale d’architecture de Venise : Alejandro Aravena (Chili).
Les prix :
Lion d’or pour la meilleure participation nationale : Espagne avec « Unfinished ».
Mentions spéciales pour la meilleure participation nationale : Japon avec « Art of Nexus » et Pérou avec « Our Amazon Frontline ».
Lion d’or pour le meilleur participant à la 15e Exposition internationale Reporting From The Front : Gabinete de Arquitectura (Paraguay).
Lion d’argent pour un jeune participant prometteur : NLÉ-Kunlé Adeyemi (Nigeria).
Mention spéciale pour sa participation à la 15e Exposition internationale Reporting From The Front : Maria Giuseppina Grasso Cannizzo (Italie).
Lion d’or pour l’ensemble de son œuvre : Paulo Mendes da Rocha (Brésil).

Des leçons à retenir des pays du Sud

Exposé au cœur de l’Arsenal, le collectif Tyin Architects (Norvège) n’y va pas par quatre chemins : « Produire de la connaissance dans les pays riches et développés pour l’exporter, ensuite, sous forme de conseils ou d’aide aux pays pauvres et sous-développés a été la règle pendant des décennies. Cette méthode est aujourd’hui révolue. Il faut inverser la donne, non pas aider ces pays, mais au contraire apprendre d’eux. » C’est un changement de paradigme complet et il est planétaire. Au Mexique, Carlos Mijares Bracho a usé, pendant des décennies, de la traditionnelle brique, comme pour cette chapelle, à Jungapeo, conçue avec des artisans de l’État de Michoacan. Depuis plusieurs années également, l’Autrichien Martin Rauch a mis au point des procédés constructifs viables avec un matériau « délaissé » : le pisé. Il en a d’ailleurs édifié sa propre maison à Schlins (Autriche). Avec cette même terre, l’Allemande Anna Heringer, elle, a édifié un institut professionnel au Bangladesh et un hôtel en Chine, livrant deux réflexions à méditer : « Trois milliards d’habitants, sur notre planète, vivent dans des bâtiments en terre » et, plus effarant, « La Chine a utilisé plus de ciment en trois ans (2011-2013) que les États-Unis pendant tout le XXe siècle ». Bref, il y a beaucoup à apprendre de l’architecture vernaculaire. En témoigne également, à l’Arsenal, une belle installation de l’Indien Bijoy Jain (Studio Mumbai), lequel a fondé son agence, à Bombay, avec des artisans – maçons, charpentiers… – triés sur le volet. À Asuncion, au Paraguay, Solano Benitez (Gabinete de Arquitectura) édifie un centre de réhabilitation infantile, donnant une nouvelle signification à deux ressources parmi les plus abondantes au monde : la brique et… la main-d’œuvre non qualifiée. Avec des modules de terre techniquement sophistiqués, l’Anglais Norman Foster, lui, imagine déjà, pour l’Afrique, des aéroports pour drones, histoire de pallier le manque d’infrastructures dans certaines régions du deuxième plus grand continent de la planète.

REPORTING FROM THE FRONT

jusqu’au 27 novembre, Giardini, Arsenale et plusieurs lieux à Venise, rens. : www.labiennale.org.

Légende Photo :
Biennale d'architecture de Venise, vue du pavillon français sur le thème « Nouveaux riches ». © Photo : Francesco Galli.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°463 du 16 septembre 2016, avec le titre suivant : Venise, L’architecture adopte un profil bas

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