Installations

La fondation Cartier ouvre un zoo

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2016 - 674 mots

PARIS

Dans une plongée dans l’univers des animaux, la Fondation Cartier invite à écouter leurs sons et vocalises et apprécier leurs représentations.

PARIS - Voilà un étrange objet. Une fois encore la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, sera parvenue à surprendre en prenant le contre-pied de l’exercice même de l’exposition que l’on attend habituellement dans pareille institution. Une fois encore, elle sera parvenue à penser un véritable projet, différent, capable de dégager une véritable atmosphère et, ce faisant, d’attiser la curiosité du spectateur. Car « Le Grand orchestre des animaux » a cette caractéristique de s’intéresser à la nature animale pas seulement au travers de ses représentations visuelles – sujet vu et revu s’il en est –, mais surtout en divergeant vers une dimension sonore et polyphonique du sujet.
Le principal inspirateur de cette manifestation s’appelle Bernie Krause et est bien peu connu des sphères artistiques. Et pour cause, sa spécialité est le son. La musique bien entendu, qu’il pratique depuis les années 1960. Mais il a en outre contribué à faire se développer la discipline de la bioacoustique, soit une contraction de la biologie et de l’acoustique, dont l’objet même tient dans l’étude des sonorités émises, interprétées ou perçues par les êtres vivants – hommes et animaux donc – avec une attention toute particulière portée à ces derniers. Krause n’est nullement un amateur en la matière, puisqu’il a collecté près de 5 000 heures d’enregistrements effectués dans des contrées terrestres ou marines auprès de quelque 15 000 espèces animales.

Un grand cirque
L’exposition se développe autour de deux axes bien distincts qui, respectivement, occupent les deux niveaux de la fondation avec des visées et des fondements fort différents.

Au rez-de-chaussée, c’est plus une dimension visuelle qui occupe les espaces. Un cirque – au sens architectural du terme –, édifié en briques par les architectes mexicains Mauricio Rocha et Gabriela Carrillo, impose son organisation en demi-cercle et structure un accrochage qui mélange les références, sans que par-delà la diversité il soit véritablement possible d’appréhender la cohérence des regroupements opérés. À un dessin à la poudre à canon de 18 mètres de long de Cai Guo-Qiang, regroupant de nombreuses espèces animales dans une sorte de sarabande fantasmée, répondent derrière lui des diaporamas et photographies à la précision acérée du Japonais Manabu Miyazaki, qui se concentrent sur la longue durée dans un lieu donné, afin d’y scruter la vie sauvage, son animation ou sa disparition.

Une expérience biophonique
Une certaine vision de l’extravagance animale est déployée plus loin, avec notamment des tableaux d’artistes africains, tels Pierre Bodo ou JP Mika, que l’on avait pu voir en ces lieux lors de l’exposition « Beauté Congo ». S’il n’évite pas par endroits un effet « nature et découverte » qui peut paraître un peu naïf – comme avec cet alignement de cinq films qui documente les vocalises et postures presque scéniques d’oiseaux d’Australie et de Nouvelle-Guinée, regroupées sous le titre passablement pompeux « Les oiseaux artistes » –, l’ensemble parvient néanmoins à dégager une atmosphère singulière, ne serait-ce que parce qu’y a été intégré du son. Or c’est bien dans cette dimension sonore que le projet trouve toute sa pertinence et atteint une forme d’accomplissement au sous-sol du bâtiment.

S’y rejoignent deux installations bien originales. Imaginé par le vidéaste Shiro Takatani à partir d’images du chercheur Christian Sardet et sur une musique de Ryuichi Sakamoto, Plankton. Aux origines du vivant donne à voir sur neuf écrans disposés au sol un étirement de plusieurs espèces de micro-organismes qui confine à l’abstraction. Mais le morceau de bravoure de l’ensemble tient dans un dispositif filmique conçu par le collectif anglais United Visual Artists qui, par le jeu du déplacement de nappes colorées et d’oscillation chromatiques, parvient à offrir une traduction visuelle aux paysages sonores – océans, Amazonie… – et aux manifestations audibles des espèces qui les habitent, documentés par Bernie Kraus.

Au-delà de l’immersion et de la pure découverte que constitue telle expérience esthétique, ce Grand orchestre des animaux est salutaire en ce qu’il fait prendre conscience d’un risque majeur : celui de la disparition.

LE GRAND ORCHESTRE DES ANIMAUX

Commissaire : Hervé Chandès
Nombre d’artistes : 15
Nombre d’œuvres : 27

LE GRAND ORCHESTRE DES ANIMAUX

jusqu’au 8 janvier, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bvd Raspail, 75014 Paris, tél. 01 42 18 56 50, www.fondationcartier.com, tlj sauf lundi 11h-20h, mardi 11h-22h, entrée 10,50 €. Catalogue éd. Fondation Cartier, 370 p.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°463 du 16 septembre 2016, avec le titre suivant : La fondation Cartier ouvre un zoo

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