Musée

XVIIe

Une fausse commode inquiète le Louvre

Une possible fausse commode déclarée « trésor national »

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2016 - 960 mots

La commode, qu’un dessin de couleuvre et licornes attribuerait à la famille Colbert, pourrait être une contrefaçon récente proposée à 9,5 millions d’euros. Impliqué, le Louvre dénonce une manipulation.

PARIS - Révélé la veille de la Biennale des antiquaires, un nouvel épisode vient enrichir le feuilleton des faux meubles précieux qui secoue depuis des mois le marché de l’art et les musées. Il porte sur une commode déclarée « trésor national », censée avoir appartenu au marquis de Croissy, frère du grand Colbert, et attribuée à Alexandre Jean Oppenordt, l’ébéniste le plus prestigieux des années 1680.

Le 23 juillet 2009, un certificat d’exportation est déposé par un expert, le baron Roland de l’Espée, au nom d’un tiers, pour cette commode galbée, « en forme de sarcophage », décorée de bronzes dorés. Deux conservateurs du Louvre, accompagnés d’un spécialiste, dont l’honnêteté ne peut pas être mise en cause, sont suffisamment impressionnés par leur examen pour proposer d’en faire un « trésor national » qui suspend l’exportation.

Le 12 décembre, le ministère entérine le classement. La commission consultative souligne la similitude avec la commode Oppenordt de la Wallace Collection à Londres. Son exposé des motifs reprend l’origine Colbert, qui s’appuie sur deux historiques d’un auteur anonyme, retraçant l’histoire du meuble de 1696 à 1803. En outre, un dessin sur le meuble représente la couleuvre et les licornes des armoiries Colbert. Néanmoins, il est gravé sur la plaque arrière d’une serrure (voir illustration), à l’intérieur d’un tiroir, ce qui n’a guère de sens. La notice souligne aussi « le bon état de conservation » d’un meuble qui, « à la différence de beaucoup d’autres de cette époque, a gardé son plateau en marqueterie ».

La construction est jugée « très inhabituelle ». Mais, au lieu de soulever un doute, cette anomalie est interprétée comme « une évolution formelle vers un nouveau type de meuble, semblant préfigurer l’apparition de la commode du XVIIIe siècle ». Au final, ce « meuble inédit », à la « provenance prestigieuse (…) revêt une importance artistique capitale en tant que jalon pour l’histoire du mobilier français ».

Le 20 juin 2012, à la demande d’Henri Loyrette, alors président du Louvre, la directrice des musées de France propose de l’acheter pour 4,5 millions d’euros. S’ensuit une longue discussion, qui, après sollicitation de trois experts indépendants, aboutit à fixer une valeur de 9,5 millions.
De juin 2014 à mars 2015, ce meuble, est soumis à plus de 800 heures de restauration à l’atelier parisien Michel Jamet. La commode est alors reproposée au Louvre. Jean-Luc Martinez, qui a succédé à Loyrette, refuse : le prix est jugé trop élevé, d’autant que l’historique fourni commence à susciter de sérieuses réserves.

La commode repart sur le marché. Au début de cet été encore, elle a été proposée à ce prix par Roland de l’Espée à un grand collectionneur, accompagnée d’une chaleureuse recommandation de Daniel Alcouffe. Dans ce courrier à l’expert du 6 décembre 2015, ce conservateur illustre, qui a dirigé plus de vingt ans durant le département des objets d’art du Louvre, fait l’éloge de ce « trésor national tout à fait digne de rejoindre la collection du Louvre (…) un des plus beaux meubles qui soient encore en mains privées, d’une importance capitale » par « sa provenance colbertienne et son état de conservation ». L’accompagne une synthèse de la restauration, rédigée par Michel Guéroult, de l’atelier Jamet, qui se conclut par ces mots surprenants : « notre travail a été présenté » à MM. Alcouffe, de l’Espée et « Frédéric Dassas, conservateur en chef des objets d’art au Louvre, qui ont conduit la restauration ». Or, si Daniel Alcouffe, qui est à la retraite, est libre de ses actes, un conservateur en activité n’a pas le droit de valoriser une œuvre sur le marché. En réalité, l’intéressé est tombé des nues quand nous lui avons présenté ce document avant de démentir catégoriquement le rôle qui lui est prêté. L’ébéniste, dont le rapport précise qu’il est « habilité par la Direction des musées de France », n’a pas souhaité réagir.

Bois du XXe siècle
Le plus ahurissant, c’est que, à cette date, un diagnostic problématique a été remis à Roland de l’Espée. Sur une suggestion de Frédéric Dassas, il avait commandé une analyse des bois à un laboratoire de Besançon. Ayant étudié 41 éléments, répartis sur le meuble, celui-ci avait conclu en mars 2015 que les chênes dont ils sont issus, de différentes provenances en France, « ont été abattus entre 1966 et 1982 ». Il signale également en plusieurs endroits des traces de rabot « incohérentes », destinées selon lui à « donner l’illusion » du passage d’un outil ancien.

Daniel Alcouffe, tout comme Frédéric Dassas, nous a dit « n’avoir jamais vu cette étude » qui, à l’instar des autres documents, provient de Roland de l’Espée. En juin, ce dernier nous a cependant expliqué l’avoir mise de côté, en raison d’une lettre adressée à la propriétaire de la commode en 1965. Son correspondant mentionne à la dame le déménagement de Buenos Aires « de la commode et de la table en marqueterie que vous aimez tant ». Ce seul élément est paru suffisant à l’expert pour « écarter le résultat de la dendrochronologie, dans la mesure où il démontrait que le meuble existait avant 1966 ». Il nous a assuré qu’il ferait « tout pour faire éclater la vérité ».

Durant toutes ces années, Roland de l’Espée était auréolé de la présidence qu’il exerçait de l’Association des amis de Versailles. Sortant de sa discrétion habituelle, la présidente de l’établissement, Catherine Pégard s’est dite « scandalisée à l’idée que le prestige de Versailles puisse se retrouver associé à cette affaire ». Jean-Luc Martinez, président du Louvre, nous a indiqué qu’il porterait plainte « s’il s’avérait que le nom du Louvre avait été utilisé frauduleusement ». Tous deux ne manquent pas de rappeler que les acquisitions publiques ressortent d’une chaîne de mécanismes collectifs, dont ils soulignent par ailleurs l’efficacité.

Le 6 juin, ayant pris sa retraite, le baron de l’Espée a démissionné de la présidence des Amis de Versailles. Il a démenti que ce départ ait un rapport avec les « affaires ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°463 du 16 septembre 2016, avec le titre suivant : Une fausse commode inquiète le Louvre

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