Isolation extérieure, un décret ambigu

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 30 août 2016 - 719 mots

Le flou plus ou moins délibéré d’un récent décret relatif à l’isolation
des bâtiments inquiète les associations patrimoniales.

PARIS - La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, portée par le ministère de l’Environnement, continue à faire grincer des dents. En cause : le décret no 2016-711 du 30 mai 2016 relatif aux travaux d’isolation dont le contenu inquiète les associations de défense du patrimoine, qui avaient pourtant été rassurées par le texte final de la loi du 17 août 2015. Cette loi stipule que lorsque des travaux importants sont réalisés sur un bâtiment, des travaux d’isolation thermique doivent être simultanément engagés. Une manière de faire baisser les factures des occupants, mais aussi de favoriser la relance de l’activité dans le secteur du bâtiment tout en diminuant la consommation d’énergie. Si la mesure ne s’applique pas aux bâtiments classés ou inscrits monuments historiques (MH), à ceux implantés dans les abords des MH ou dans les secteurs sauvegardés, elle concerne un grand nombre de bâtiments anciens placés dans des zones non protégées.

Le problème est qu’une isolation thermique par l’extérieur (ITE), deuxième peau qui emballe l’édifice, masque les façades de leurs caractéristiques architecturales (décors en saillie, colombages…). Alarmées par un projet de loi prévoyant l’obligation de recourir à l’ITE, des associations de défense du patrimoine reconnues d’utilité publique s’étaient mobilisées. Ayant reçu le soutien du Sénat et de l’Assemblée nationale, elles avaient obtenu lors du vote de la loi que les travaux réalisés ne contraignent pas à un type d’isolation en particulier – une isolation par l’intérieur est possible – et qu’ils « tiennent compte des spécificités énergétiques et architecturales du bâti existant ».

Dommageable d’un point de vue esthétique, l’ITE est en outre souvent peu adaptée à la structure du bâti ancien, ce que ne conteste pas le ministère de l’Environnement. « Les matériaux anciens (pierre, terres…) ont besoin de respirer. Il y a des modes de construction qui ne supportent par l’ITE », commente le cabinet de la ministre. Ainsi les associations espéraient que le décret d’application exempterait le bâti ancien (avant 1948 selon sa définition réglementaire) d’une isolation des façades. Il n’en est rien.

Justifier de la dégradation encourue

Ce décret qui rentrera en vigueur le 1er janvier 2017 indique que, en cas de travaux de ravalement de 50 % au moins de la façade ou de réfection de 50 % au moins de la toiture, le maître d’ouvrage doit réaliser des travaux d’isolation. Si le décret ne précise pas formellement qu’il doit être fait recours à l’ITE, il entretient le flou. Car un alinéa fait référence à une possible dérogation à l’ITE. Comment peut-on édicter une dérogation à un principe qui n’est pas formulé ?

Pour les associations – qui s’appuient sur l’esprit de la loi qui est de mettre à profit des chantiers de ravalement ou de toiture pour procéder à des travaux d’isolation –, le décret encourage le recours à l’ITE. Elles craignent que des propriétaires peu informés sur leurs droits puissent céder aux recommandations pressantes d’entreprises de BTP désireuses de compléter un chantier par une isolation extérieure. Le cabinet de la ministre se veut rassurant, rappelant qu’une dérogation est prévue (cette fameuse dérogation) « pour que les gens ne se sentent pas contraints d’isoler par extérieur ». En effet, dans le cas où « une ITE dégraderait significativement la qualité architecturale », le maître d’ouvrage peut « justifier de la valeur patrimoniale ou architecturale de la façade et de la dégradation encourue, en produisant une note argumentée rédigée par un architecte », indique un alinéa du décret. Pour les associations, le fait de mandater un architecte – présentant l’avantage d’une certaine neutralité – engendrerait surtout un surcoût pour un propriétaire qui préférerait s’en dispenser.

La Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF) a déposé le 26 juillet un recours gracieux à l’encontre de ce décret, qui, sauf revirement du gouvernement, deviendra contentieux. « Le texte est volontairement confus et ne répond pas au principe constitutionnel et d’intelligibilité de la norme », explique Julien Lacaze, le vice-président de la SPPEF, qui dénonce aussi un décret « qui ne définit pas suffisamment les catégories de bâtiments soumis à l’obligation d’isoler ». Pour répondre aux critiques, le ministère prévoit la publication en septembre d’un guide d’application du décret tandis que la SPPEF réitère sa demande que les bâtiments anciens soient exempts de l’obligation d’isoler et réclame des « mesures d’accompagnement architectural de toutes les isolations par l’extérieur ».

Légende photo

Maison à colombages en Normandie. Ce type de bâtiment pourrait rentrer dans le champ d'application du décret. © Photo : Isamiga76

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : Isolation extérieure, un décret ambigu

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