Photographie

Arles

Des Rencontres d’Arles sous influence

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2016 - 1040 mots

La programmation artistique de la 47e édition de la manifestation semble en partie dépendante de ses partenariats financiers. On relève l’absence criante des femmes photographes dans certaines sections.

Arles, dit-on, est à la photographie ce qu’est Cannes au cinéma. À ceci près qu’aucun jury des Rencontres de la photographie ne vient décerner de palme à telle ou telle exposition et surtout que la sélection ne relève que d'une seule personne : son directeur. Pour sa deuxième édition en tant que directeur de la manifestation, Sam Stourdzé n’a pas failli à la règle du menu éclectique et dense ni à la traditionnelle semaine d’ouverture dite « professionnelle », prévue du 4 au 10 juillet, durant laquelle s’égrènent rencontres, conférences, débats, stages, lectures de portfolio et soirées de projection. Un hommage à Michel Tournier (1924-2016), cofondateur des Rencontres d’Arles auquel cette 47e édition est dédiée, a été notamment programmé le 8 juillet.

Déploiement régional
Quelques changements structurels caractérisent cependant cette édition. Le Cosmos Arles Book déménage du parc des Ateliers pour l’ancien collège Mistral, bien plus central puisque situé entre la gare SNCF et les Arènes. Ce nouvel emplacement indique la visibilité qu’entend donner Sam Stourdzé à ce rendez-vous d’éditeurs organisé durant la première semaine du festival. Les Rencontres investissent par ailleurs une nouvelle friche industrielle, baptisée Ground Control. Située à proximité de la gare, ce nouveau lieu d’expositions accueille en particulier l’enquête sur les histoires d’ovni aux États-Unis menée par trois jeunes photographes danois : Sara Galbiati, Peter Helles Eriksen et Tobias Selnaes Markussen.

Cette année, les Rencontres d’Arles se sont associées à l’École nationale supérieure de la photographie pour créer une résidence commune au cloître Saint-Trophime, qui accueille le projet de Stéphanie Solinas sur l’histoire de la halle dénommée Lustucru à Arles. Stéphanie Solinas que l’on retrouve au Carré d’art de Nîmes pour une œuvre plus ancienne construite autour des différents visages de tous les Dominique Lambert recensés en France ; l’ensemble est montré ici pour la première fois dans son intégralité. L’exposition nîmoise est accessible sur présentation d’un ticket d’entrée acheté pour les Rencontres, signe du redéploiement du festival dans la région. Une nouveauté qui renoue avec une pratique en cours à ses débuts et qui permet à son directeur de s’associer avec des institutions locales ou d’incorporer leurs propositions estivales à sa programmation. Ainsi de l’exposition « Andres Serrano » à Avignon à la Collection Lambert, où l’on découvre la dernière série de l'Américain sur la torture, ou de celle d’« Alfred Seiland » à la Villa Méditerranée à Marseille, qui expose un travail ancien, « Imperium Romanum », réalisé par le photographe autrichien sur des lieux autrefois sous domination de l’Empire romain.Le caractère inédit, du moins en France, des travaux contemporains présentés, ligne maîtresse du festival, subit ainsi quelques entorses ; l’explication tient sans doute au fait que la Villa Méditerranée, dont le propriétaire est la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, contributeur au budget du festival, est en mal de programmation. À Arles, au Capitole, ce sont les photographies des « Champs de bataille » de Yan Morvan qui ont déjà été montrées à Paris, à la suite de la parution du livre aux éditions Photosynthèses, maison qui appartient à la mécène suisse Vera Michalski, sœur de Maja Hoffmann et nouveau partenaire du festival depuis l’an dernier via la Fondation Jan Michalski. La présence de la fondation a cette année été renforcée par la création des prix respectifs du Livre d’auteur et du Livre historique. On ne refuse rien à un partenaire financier d'importance.

Nouveaux partenaires
Autre interrogation, l’absence incompréhensible de femmes telles que Sophie Ristelhueber ou Paolo de Pietri dans cette section intitulée « Traces de la guerre » où les expositions personnelles, qu’il s’agisse de Yan Morvan, Don McCullin ou d’Alexandre Guirkinger, bénéficient tous de partenariats financiers. Le constat est identique pour l’autre grande section phare, consacrée elle à la Street Photographie et dépourvue là encore de femmes photographes ! Certes on ne boude pas son plaisir devant Sid Grossman, Peter Mitchell, Eamonn Doyle, Christian Marclay et Garry Winogrand, mis pour la première fois en relation avec Ethan Levitas. N’en demeure pas moins que l’on s’interroge sur la manière dont est construite la programmation, qui semble être davantage pensée en termes économiques qu’artistiques. Une impression corroborée par l’arrivée en force des galeries, pourvoyeuses de tirages pour ces expositions, telles la Howard Greenberg Gallery (New York) pour Sid Grossman ou la Fraenkel Gallery (San Francisco) associée à la galerie Jean-Kenta Gauthier (Paris) et au Center for Creative Photography (Tucson, Arizona) pour Levitas/Winogrand.

Dans cette cartographie des nouveaux partenaires, le soutien de la Confédération suisse, pas étranger aux anciennes fonctions de Sam Stourdzé au Musée de l’Élysée à Lausanne, configure d’autres choix telles les expositions « Monstres faites-moi peur ! » et « Jungle Show » du Suisse Yann Gross. Ce dernier étant le lauréat du Luma Rencontres Dummy Book Award Arles 2015, prix d’aide à la publication d’une maquette de livre créée l’an dernier par la Fondation Luma !

Quelques productions
Sam Stourdzé se défend cependant d'une programmation dictée par les partenariats : « Le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès a permis de donner par exemple plus d’ampleur à la présentation de la dernière campagne photographique de Charles Fréger sur les figures masquées rituelles du Japon, que nous avions programmées. » Et le directeur des Rencontres de souligner la production par le festival du premier volet de l’histoire de la misogynie de Laia Abril consacrée à l’avortement ou celle de « Western camarguais », coproduite avec le Musée de la Camargue et ramenant à la surface les archives des premiers films d’aventure tournés dans ce paysage.

Les Rencontres d’Arles 2016 brassent large, y compris dans le genre décapant incarné par « Hara Kiri Photo », montrant la place de la production photo au sein du journal satirique, et par l’exposition « Maurizio Cattelan & Pierpaolo Ferrari », fondateurs du magazine Toilet Paper. Cette diversité fait partie de l'ADN de la manifestation. Dans cet ensemble éclaté de manifestations, les expositions monographiques de photographes ou d’artistes français apparaissent toutefois bien maigres, au nombre de cinq au total, avec, au côté de Solinas, Morvan, Fréger, Guirkinger (sélectionné pour son travail sur la ligne Maginot), Bernard Plossu pour la première fois exposé à Arles à la faveur de l’édition chez Textuel de son livre Western Colors sur ses différents voyages aux États-Unis.

Les Rencontres d’Arles

Nombre d’expositions : 40
Nombre de photographes : 137
Nombre de commissaires : 48

Les Rencontres d’Arles

divers lieux d’exposition, tlj 10h-19h30, www.rencontres-arles.com, forfait toutes expositions 37 €, forfait journée 30 €. Jusqu’au 25 septembre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Des Rencontres d’Arles sous influence

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