Art moderne

Copenhague

La Glyptothèque réexamine ses Gauguin

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2016 - 812 mots

Le musée danois propose un nouveau regard sur sa collection de tableaux de Paul Gauguin, l’une des plus riches au monde.

Le musée, au charme si particulier voulu à la fin du XIXe siècle par le brasseur Carl Jacobsen, accroche 70 œuvres pour cette rétrospective dont 57 proviennent du fonds qu’il s’est constitué depuis plus d’un siècle et qui ne cesse de s’enrichir. Déjà présentée à Milan, l’exposition se montre bien moins paradisiaque dans la cité nordique où Paul Gauguin (1848-1903) a vécu un épisode critique de sa vie.

Dédaignant l’ordre chronologique, les conservateurs de la Glyptothèque ont brouillé les pistes, faisant naître des échos croisés. Ils jouent avec subtilité des oppositions, montrant le peintre qui glisse d’un style à un autre, à coups de citations de Pissarro, Degas, Cézanne ou même Manet. Dans une vue d’Osny datant de 1883, Gauguin mêle une touche impressionniste à un début de cloisonnement des espaces. Il maltraite déjà la perspective, introduisant ces « dérobades inquiétantes » dont parle Daniel Wildenstein dans le catalogue raisonné qu’il publia peu avant sa disparition, et qui le conduiront au synthétisme. Il glisse du rose sur la terre. En 1887, sa montagne Pelée n’a rien du volcan menaçant qui va bientôt emporter la Martinique, prenant plutôt les couleurs du mont Fuji. « Le paysage ne représente rien pour lui, ce qui l’intéresse, c’est la symphonie des couleurs, note le directeur du musée, Flemming Friborg. Chez Gauguin, la facture prime toujours sur l’image. » L’artiste part sans cesse en exploration. Il réalise une œuvre étrange, La Couseuse, et peint des portraits au visage flottant, mais dans ses paysages il ne s’attarde guère sur ses personnages au trait cerné, omettant même de peindre la tête d’un petit veau dans une vue de Bretagne.

Techniques vagabondes
La Glyptothèque, qui détient des bois sculptés à côté de quinze de ses soixante céramiques connues, a aussi voulu montrer ses techniques vagabondes. Dédaignant le tour, Gauguin modèle des terres distordues, laissant apparaître des faces grotesques tout en usant des motifs indiens d’Amérique centrale. À partir de 1888, les mots « sauvage » et « primitif » reviennent constamment dans la correspondance de l’artiste, qui insiste à l’envi sur ses ascendances péruviennes. L’exposition arbore même une broche en matériaux composites, que Flemming Friborg décrit avec un brin d’ironie comme « le premier ready-made de l’histoire ». Plus sérieusement, il fait surtout remarquer le goût pour la pacotille de la part d’un artiste qui n’hésite pas à peindre sur une porte ou un sac de jute.

C’est la tradition familiale qui attribue cette broche à l’artiste. Un bijou ressemblant apparaît sur un portrait de Mette, la fille d’un magistrat danois qu’il a épousée en 1873, alors qu’il n’était encore qu’un peintre du dimanche. Son séjour à Copenhague au milieu des années 1880 fut particulièrement malheureux. Le couple ayant été ruiné par le krach et son mari ayant abandonné sa place à la Bourse, Mette retourna l’été 1884 dans sa famille. Elle convainquit son mari de la rejoindre fin novembre. Il se sentit plutôt heureux de découvrir une ville aussi « extraordinairement pittoresque », dont témoigne ici une scène de patineurs dans un parc. Mais la dépression et le froid mordant eurent raison de ces premiers sentiments : durant tout l’hiver, il ne peignit que deux paysages de neige. Il ne s’entendait pas avec sa belle-famille. Il souffrait de dépendre d’une épouse qui subvenait aux besoins d’une famille de cinq enfants, mais qui avait hérité de cette mentalité petite-bourgeoise que son pays sut porter à la perfection. Gauguin finit par s’enfermer, pour écrire, dessiner et peindre des routes, en puisant dans ses souvenirs de Normandie.

Isolement
Son autoportrait montre un homme de 36 ans, le regard vague, dans la soupente à la maigre lumière qui lui servait de refuge. Il réussit tout juste à exposer quelques œuvres durant cinq jours en mai. Il fallut attendre la Sécession pour que sa peinture fît sensation, et 1914 pour que Helge Jacobsen, profitant de la mort de son père, le fondateur de la Glyptothèque, commence à former cette collection unique, en acquérant des œuvres venues pour une exposition et restées bloquées par la guerre. En 1915, il ne put cependant convaincre le conseil d’administration d’acquérir le chef-d’œuvre de la période polynésienne D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?, qui est désormais la star du Musée des beaux-arts de Boston.

Le Danemark peut penser n’avoir pas fini de payer sa dette envers Gauguin. Pourtant il ne devrait pas se sentir si coupable car cette période fut déterminante pour lui. C’est dans ce grenier qu’il élabora son vocabulaire et décida de son avenir. Souffrant d’un « isolement le plus complet », songeant même à « se pendre », il écrivait alors : « Il me semble par moments que je suis fou et cependant plus je réfléchis le soir dans mon lit plus je crois avoir raison. » Il ne lui restait « qu’une chose » à faire : peindre.

Gauguin

Commissaires : Flemming Friborg, Line Clausen Pedersen
Nombre d’œuvres : 70

Les mondes de Gauguin

Jusqu’au 28 août, Glyptothèque Ny-Carlsberg, Dantes Plads 7, Copenhague, tél. 45 33 41 81 41, tlj sauf lundi 11h-18h, jeudi jusqu’à 22h, entrée 15 €, glyptoteket.com. Catalogue, 24 €.

Légende Photo :
Paul Gauguin, Tahitienne à la fleur, 1891, huile sur toile, 70,5 x 46,5 cm, Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague. © Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : La Glyptothèque réexamine ses Gauguin

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