Ambassade

La Maison de la Culture du Japon se réveille

Par Jean-Luc Toula-Breysse · Le Journal des Arts

Le 21 juin 2016 - 1277 mots

La célébration des 20 ans de l’institution nippone en 2017 est l’occasion de redynamiser un lieu assoupi,
qui compte sur sa programmation cinéma pour faire venir un public jeune.

PARIS - Le navire amiral de la culture japonaise, la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) est amarré depuis 1997 sur les bords de Seine à l’ombre de la tour Eiffel. Ce bâtiment, conçu par les architectes Kenneth Armstrong et Masayuki Yamanaka, est la plus grande structure (7 500 m²) que compte à l’étranger la Fondation du Japon, organisme public gouvernemental indépendant financé par le ministère des Affaires étrangères japonais, ayant pour mission de faire rayonner les arts et la culture, ainsi que l’enseignement de la langue japonaise et de développer les échanges intellectuels. Pourtant, au fil des ans, après une reconnaissance publique immédiate ou peut-être une curiosité justifiée (plus de 100 000 visiteurs en 1998), la MCJP a connu une baisse de fréquentation (environ 50 000 visiteurs en 2008). Aujourd’hui, elle stagne, les grandes expositions se réduisent à peau de chagrin, les Parisiens identifient peu les activités de cette maison tant la communication est opaque. Seule, contre vents et marées, la programmation cinéma, plurielle et audacieuse, marque une ligne forte et cohérente.

Échanges culturels
L’histoire avait pourtant bien commencé. Inaugurée le 13 mai 1997 par le président de la République Jacques Chirac et la princesse Sayako, la MCJP est née, en 1982, d’une initiative du président de la République François Mitterrand et du Premier ministre du Japon Zenkô Suzuki. La France offre le terrain avec un bail emphytéotique de soixante ans au loyer annuel symbolique de 500 francs ! Le premier président de la MCJP, Hisanori Isomura, ancien directeur général de la NHK et présentateur vedette du journal télévisé de cette chaîne publique japonaise, se souvient : « L’économie japonaise était à son zénith, mais il existait beaucoup de frictions avec l’Europe. Les deux chefs d’État sont tombés d’accord sur ce projet afin de transmettre au public français et européen la quintessence de la culture japonaise. »

L’actuel président, Tsutomu Sugiura, en fonction depuis le 15 janvier dernier, connaît bien la maison. Sous la présidence de Hisanori Isomura, il a été, ici même durant trois ans, le directeur des activités culturelles. Son défi est de taille : réveiller cette institution, une Belle au bois dormant… « Heureusement, c’est un homme très actif », affirme le premier président. Pour preuve, ce passionné de culture, auteur de nombreux ouvrages notamment sur les œuvres de la collection Marubeni, important groupe de négoce, fut également ambassadeur du Japon au Burkina Faso (2009-2013). C’est le président de la Fondation du Japon en concertation avec les membres du conseil d’orientation (dix Japonais et dix Français appartenant au milieu culturel, économique ou diplomatique) qui nomme le président de la MCJP pour un mandat de cinq ans, à l’exception de Hisanori Isomura, qui fut directement désigné à ce poste par le ministère des Affaires étrangères pour une période de dix ans (1995-2005). À la question : « sur quels critères est choisi le président ? », M. Sugiura sourit : « J’aimerais bien le savoir. » Son objectif est de « présenter au public français le Japon tel qu’il est avec ses ombres et ses lumières. » Pour cela, il s’est fixé le cap de mettre en avant le Kongen genjo, concept valorisant la renaissance des traditions et leur réémergences sous des formes contemporaines, de tisser un lien plus ténu entre les arts et la science et consolider les échanges culturels entre la France et le Japon en s’ouvrant à l’Afrique et à l’Asie. Il souhaite organiser une grande exposition, à l’image de Jômon, l’art du Japon des origines (1998), L’enfant et l’ukiyo-e, quotidien et fantastique dans l’estampe japonaise (199) ou Haniwa, Gardiens d’éternité des Ve et VIe siècles (2001).

Mais si la MCJP continue à organiser des petits événements, son pavillon deviendra de moins en moins visible dans la capitale ; même si Paris garde, depuis les expositions universelles de la fin du XIXe siècle et la vague du japonisme, cette « sympathie instinctive » comme l’affirmait le poète et ambassadeur de France au Japon (1921-1927) Paul Claudel. De décennies en décennies, des expositions au Grand et au Petit Palais, au Musée Cernuschi, aux Arts décoratifs ou au Quai Branly, rencontrent un large public. Récemment à la Fondation Cartier, le travail du photographe Daido Moriyama et actuellement au Musée national des arts asiatiques Guimet les clichés de Nobuyoshi Araki confirment une continuité. La culture japonaise embrasse toute la géographie parisienne et cela bien au-delà de la MCJP qui s’en félicite. La concurrence est donc rude et ancienne, sans parler de Japan expo pour les fans de mangas, de l’animation, de cosplay et de J-Pop, ainsi que ces lieux plus modestes que sont l’Espace Japon, la Maison Wa ou l’Espace Ma.

Les cours de langue, une mission politique
L’actuel président ne réfute pas qu’« il y a des contraintes budgétaires. Certes, la somme allouée demeure stable, mais les coûts augmentent, sans oublier la fluctuation du taux de change » et surtout le nombre croissant d’activités. Faire plus avec les mêmes moyens semble le message envoyé de Tokyo ! Le budget est pour l’année fiscale japonaise (du 1er avril au 31 mars) 2016-2017 de plus de 4, 6 millions d’euros. La Fondation du Japon en subventionne près de 95 % couvrant plus de 65 % des coûts de fonctionnement et des charges administratives et près de 30 % pour les activités culturelles (exposition, spectacle, cinéma, conférence, cours, bibliothèque). L’Association pour la MCJP finance, elle, plus de 5 % du budget global en se concentrant exclusivement sur le soutien de la programmation artistique, soit 16 % du montant réservé aux activités, via une amicale regroupant environ 70 entreprises privées et par le détachement de personnel.

Environ 80 000 visiteurs franchissent chaque année les portes de cette maison. 79 302 en 2013, 81 608 en 2014, 80 939 en 2015. Ce chiffre prend en compte les apprenants de la langue japonaise constituant, l’année dernière, 14,8 % de la fréquentation. Avant, la politique de la maison était de ne pas porter préjudice aux écoles et cours privés. Désormais, l’enseignement est devenu un enjeu majeur pour la Maison du Japon. Un élan porté par l’ancienne présidente, Sawako Takeuchi (2011-2016), au service d’une décision politique initiée par la Fondation du Japon face à la progression du chinois et du coréen, même si ces dernières années le nombre d’étudiants étrangers séduits par la langue de Yasunari Kawabata – prix Nobel de littérature, auteur des Belles endormies – reste constant. Sawako Takeuchi considère qu’« il faut chercher un nouveau modèle, pas encore réalisé pour faire venir les plus jeunes ».

En attendant, le monsieur cinéma de la maison a le vent en poupe. Fabrice Arduini, directeur adjoint à la programmation, a su fidéliser cinéphiles, amateurs de films nippons tout en attirant d’autres publics moins tatamisés. En 2012, 23 000 entrées ont hissé au premier rang les séances de projection devant les expositions et les spectacles. Son secret : « Rattraper le temps perdu en présentant des cinéastes inconnus ici et reconnus au Japon avec des approches thématiques et esthétiques, des séries de cycles sur l’histoire des grands studios (sixième volet actuellement) et un nouvel axe, celui d’ouvrir le septième art à d’autres disciplines par l’organisation, par exemple, de conférences avec un philosophe. » Conscient des enjeux, le président Sugiura doit innover et surtout braver la bureaucratie chère aux administrations nippone. « Gambatte !» ! (1)

Note

(1) « Bon courage ! » en japonais

Maison de la Culture du Japon

101 bis quai Branly, 75015 Paris, mardi-samedi 12h-20h, www.mcjp.fr, tel. 01 44 37 95 01.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : La Maison de la Culture du Japon se réveille

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