Festival - Photographie

Economie

La nécessaire professionnalisation des festivals photo

À l’instar des Rencontres d’Arles et de Visa pour l’Image, qui ont sauté le pas depuis longtemps, les festivals de photographie font face à la question de la stabilité de leurs équipes

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2016 - 1338 mots

FRANCE

Forts de leur ancienneté, les Rencontres d’Arles et Visa pour l’Image ont su négocier avec succès et depuis longtemps le virage de la professionnalisation, gage de pérennité. Ce n’est pas le cas des festivals de photographie récents à l’exemple d’imageSingulières à Sète ou de Circulation(s) à Paris, que des ressources insuffisantes rendent dépendants du bénévolat.

À 47 ans, les Rencontres d’Arles affichent une certaine sérénité. La manifestation demeure une référence sans équivalent à l’international, à l’instar de Visa pour l’Image, qui est, vingt-huit ans après sa création à Perpignan, « le » rendez-vous international du photojournalisme. L’un et l’autre s’ouvrent par une semaine dite professionnelle, où le petit monde de la photo se retrouve. Le 4 juillet prochain, Arles lance la saison.

La programmation et le budget des deux festivals affirment une forte identité. Le professionnalisme de leur structure les rassemble tout en les différenciant des autres festivals photo qui ont émergé en France dans les années 1990, à Niort (Deux-Sèvres) et à Lectoure (Gers), ou dans les années 2000 à Sète, Beauvais (Oise) ou La Gacilly (Morbihan).

Le modèle économique actuel des Rencontres d’Arles « s’apparente davantage », comme le souligne son directeur, Sam Stourdzé, « à celui du Festival d’Avignon ou du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence », non pas tant par son budget (6,8 millions d’euros en 2015) ou le soutien apporté par le ministère de la Culture (671 500 €) que par l’importance de la structure qui les gère. Aucun bénévole n’y participe, mais une responsable des ressources humaines est employée à l’année pour assurer les différentes embauches et rédiger les multiples contrats afin que les douze semaines de programmation se déroulent au mieux.

350 personnes sous contrat pendant sept mois à Arles
« De quinze permanents en hiver, le nombre d’employés lors du festival monte à 350 personnes sous contrat, dont 230 agents d’accueil, de sécurité et de billetterie embauchés pendant sept mois, formés et, d’une année sur l’autre, renouvelés quasiment entièrement, précise Sam Stourdzé. L’embauche a augmenté avec le nombre de lieux d’exposition et avec les contraintes de gardiennage de ces espaces. » À eux seuls, les frais de personnels sont supérieurs à 3 millions d’euros, financés pour un tiers par des subventions publiques. Les Rencontres sont devenues à Arles une source de revenus pour les hôtels, restaurants, commerces ou habitants qui louent leur appartement pendant le temps des festivités et un employeur essentiel dans la politique sociale du Grand Arles. Le taux de chômage y est en effet le plus élevé de la région Paca (15,2 %) et seuls 46 % des foyers fiscaux sont imposés.
À Perpignan, « c’est la Ville qui recrute sous contrat ou qui met à disposition du festival son personnel pour l’accrochage, l’encadrement, l’accueil du public et le gardiennage des expositions, la maintenance et ses chauffeurs », indique Jean-François Leroy, fondateur de Visa pour l’Image. Soit, pour deux semaines de festival, « un engagement financier de la municipalité pour ces emplois et la mise à disposition des lieux, évalué à 767 000 euros, précise-t-il. Si je devais valoriser ce que me donne la Ville, je serais à 2,2 millions d’euros de budget. »

Les festivals font plus que jamais partie de l’économie locale et régionale. Nés souvent d’une idée portée par des particuliers ou des associations, ils sont un vecteur essentiel d’image, une source de revenus pour leur territoire, et un acteur de médiation auprès des scolaires et du public auquel tiennent par-dessus tout les collectivités qui les soutiennent.

Les festivals les plus récents ont des structures de financement diverses : de 85 % de subventions publiques pour les Photaumnales à Beauvais (127 000 €) ou 59 % pour imageSingulières à Sète (125 056 €), à 70 % de fonds privés pour le festival de La Gacilly, lancé par Jacques Rocher, président de la Fondation Yves Rocher pourvoyeuse de la moitié de son financement.

Appréciés par le public et les collectivités locales, ces jeunes festivals sont aujourd’hui confrontés au problème de leur nécessaire professionnalisation. « Au bout de neuf ans d’existence, nous atteignons nos limites dans l’autoréalisation », souligne Valérie Laquittant, cocréatrice avec Gilles Favier de l’association Cétavoir, organisatrice d’imageSingulières. « Nos amis du milieu de la photo nous ont beaucoup soutenus. Il faut à un moment donné les rémunérer. » D’avril à mai, ils sont près de cent bénévoles et stagiaires à rejoindre l’équipe du festival pour le montage des expositions, l’organisation des deux semaines et demie de déroulement, et le démontage. Cétavoir ne dispose en tout et à l’année que de quatre permanents, dont deux contrats aidés, pour une masse salariale de 60 000 euros. « Nous sommes tous au smic », relève Valérie Laquittant.

L’équilibre précaire des festivals récents
Tous le disent, la question du statut des personnels est fondamentale dans la pérennisation d’un festival. Pas une manifestation qui ne se heurte, à un moment donné de son existence, aux limites du bénévolat et à la démotivation de ses dirigeants. À Niort ou à Lectoure, la création, encouragée par la Drac [direction régionale des Affaires culturelles] d’un centre d’art, afin que les associations puissent passer à la vitesse supérieure dans leurs actions, a constitué une étape fondamentale de leur développement. Elle a marqué une première phase dans leur professionnalisation et donné une assise matérialisée par un espace d’exposition et de médiation ouvert à l’année (La villa Pérochon à Niort et Le centre d’art et photographie à Lectoure). Encore faut-il disposer du personnel suffisant pour administrer tant la structure que le festival. Lectoure vient d’embaucher deux personnes en CDI et Niort rêve de pouvoir recruter un administrateur aux côtés de ses deux CDI à plein temps, dont l’un bénéficie à son directeur artistique, Patrick Delat. Mais trouver les fonds, publics ou privés, n’est pas chose aisée aujourd’hui.

À Sète et Beauvais, les festivals doivent faire face à la même équation. Faute de pouvoir bénéficier de partenariats privés, mais aussi faute de recettes propres suffisantes, ils sont dans l’impasse. Seuls Arles et Lectoure font payer les entrées. Si elle représente une source de revenus essentielle pour Les Rencontres d’Arles, puisqu’elle en constitue 30 % (1,62 M€), la billetterie est encore faible pour le festival L’Été photographique de Lectoure (à peine 10 %) qui envisage de réduire son tarif plein de 8 à 5 euros. Le recours au financement participatif est apparu parfois comme une solution, qui reste cependant provisoire. En ces temps où les subventions publiques au mieux se maintiennent, et où les partenaires privés ne s’engagent plus que sur une année, l’avenir des jeunes festivals photo apparaît incertain.

Circulation(s), un cas d’école

La sixième édition de Circulation(s) devait s’achever le 26 juin. Le Centquatre qui l’accueille depuis deux ans à Paris lui a demandé de la prolonger jusqu’au 7 août, faisant passer sa durée d’un mois et demi à trois mois. Organisé par l’association Fétart, présidée par Marion Hislen, ce festival de la jeune photographie européenne, relayé par la RATP dans une dizaine de stations de métro, a le vent en poupe, mais ne sait pas encore si l’édition prochaine pourra avoir lieu. Porté uniquement par des bénévoles, Circulation(s) peine à boucler chaque année son budget. En 2015, le déficit, qui s’élevait à 45 000 euros en raison de dépenses (160 000 €) insuffisamment couvertes par les recettes (115 000 €), a été comblé grâce à une commande de la BNP. La mise en place d’entrées payantes à 5 euros pour le tarif plein (dont 40 % des recettes sont reversés au Centquatre) devrait sauver le budget 2016, financé à 30 % par des fonds publics, indépendamment de la mise à disposition par la Mairie de Paris du Centquatre, évaluée à 256 350 euros. « Mais nous ne pouvons plus continuer sur ce système. Tout le monde trouve son compte sur le dos du bénévolat », déplore Marion Hislen. De fait, si la Mairie de Paris devait organiser son propre festival photo, il lui faudrait débourser près de 800 000 euros, ce que coûtait Photoquai, organisé par le Quai Branly et récemment disparu.

Christine Coste

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Les Rencontres de la photographie, Arles © Photo Matt Frenot

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : La nécessaire professionnalisation des festivals photo

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