Mode

Le monde matériel d’Issey Miyake

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2016 - 811 mots

Pour ses 10 ans, le National Art Center de Tokyo fait défiler les silhouettes futuristes du couturier japonais, tel un réjouissant inventaire des créations les plus avant-gardistes de sa carrière.

TOKYO - Une fois n’est pas coutume, le National Art Center de Tokyo, qui fête ses dix ans, a choisi de mettre en avant le design en rendant un hommage appuyé au couturier Issey Miyake, 78 ans, à travers une rétrospective intitulée « Miyake Issey Exhibition : The Work of Miyake Issey ». La présentation est vaste et ambitieuse puisqu’elle couvre pas moins de quarante-cinq années de création, depuis la fondation du Miyake Design Studio, en 1970, jusqu’à nos jours. De fait, l’institution n’a pas lésiné sur les moyens pour offrir au visiteur un panorama exceptionnel. Ainsi, deux créateurs phares de la scène nippone actuelle, le graphiste Taku Satoh (salle 3) et le designer Tokujin Yoshioka (salles 1 et 2) ont-ils conçu la splendide scénographie. Ce dernier dessinant pour l’occasion des mannequins à l’allure futuristes – Grid Bodies –, l’un en carton, l’autre en résine acrylique transparente. Réglé au cordeau en trois sections distinctes, le parcours, lui, se déploie crescendo et de manière subtile.
Dans une première salle, oblongue, douze silhouettes alignées comme à la parade montrent des travaux emblématiques des années 1970. L’inclination d’Issey Miyake pour les matières saute aux yeux illico. Celles qui collent à la peau comme Tattoo, combinaison imprimée d’un large dessin bariolé façon tatouage, qui s’étale des épaules jusqu’aux fesses. Ou celles qui prennent de l’épaisseur comme Sashiko, uniforme de… baseball détourné pour lequel le couturier use d’un tissu dense, genre vêtement de ferme ou kimono de judo. Avec Linen Jumpsuit, il utilise habilement le lin, dans toutes ses dimensions, afin d’engendrer le moins de chutes possible. Idem avec la robe Paradise Lost, simple « rectangle » de soie perforé de trous pour faire passer les bras.

Avec Tanzen, il métamorphose un kimono d’intérieur de la période Edo en manteau à capuche au graphisme élégant. Pour la robe Nuba, il fait développer par la firme nippone Asahi Chemical une fibre de nylon qui tolère des nuances chatoyantes. Déjà, on sent Miyake déambuler en équilibre sur un fil : d’un côté, les techniques et artisanats japonais les plus traditionnels ; de l’autre, une volonté de développer coûte que coûte de nouveaux matériaux, voire de nouvelles méthodes.

Techniques révolutionnaires
La deuxième salle ne fera qu’entériner le soupçon. Dans une ambiance également très feutrée, une quinzaine de mannequins évoquent quelques recherches formelles emblématiques de Miyake. En témoignent les « Rattan Bodies », belles « sculptures portables » conçues par un artisan virtuose, Shochikudo Kosuge, spécialiste du bambou et du rotin, qui évoquent, dans une version allégée et contemporaine, les armures des samouraïs. A contrario, les « Waterfall Bodies » sont réalisées en jersey partiellement imbibé de silicone et ajustées directement sur le torse, sinon « moulées », comme s’il s’agissait d’un liquide s’écoulant à même le corps. L’effet est bluffant.

Contrairement aux deux premiers volets de l’exposition, le troisième, le plus vaste, est tout sauf éthéré : un vrai feu d’artifice. Sont ici déployées les recherches des années 1990 à aujourd’hui. S’y dévoilent, en outre, certains processus de fabrication et c’est passionnant. Ainsi, en est-il de cette fameuse machine, pour la première fois exhibée, qui réalise les célèbres modèles « plissés » baptisés Pleats Please. Une vidéo montre ce qui se passe à l’intérieur de l’engin et le visiteur peut même voir se fabriquer les deux plus récents modèles que le styliste a élaborés sur la base de deux dessins d’une figure jadis influente du graphisme nippon, de feu Ikko Tanaka. Que ce soit avec la ligne « A-Poc » – « A Piece of Cloth », vêtements conçus « à la chaîne » à partir d’un seul et même rouleau de tissu –, la série « Ikko », habits méticuleusement pliés façon origami avant d’être teints, ou les « Flying Saucer », robes construites à partir de « cylindres » de textile qui se replient telles des lanternes de papier, tous illustrent à l’envi son désir profond et constant d’innovation. En filigrane, on lit, en outre, un questionnement récurrent, pour ne pas dire une obsession, quant à la construction même du vêtement et au processus de fabrication : comment envelopper et habiller un corps humain en trois dimensions avec un tissu en deux dimensions ? En 2013, ses expériences du passage de la 2D à la 3D se déclineront même à l’échelle de l’objet à travers une collection de luminaires en plastique recyclé, In-Ei, ici également présentée.

Sur un podium, transparentes et légères, la veste et la jupe Horsehair (collection automne-hiver 1990) semblent presque illusion. Et pourtant, conçues avec du crin de cheval, elles se révèlent, en même temps, étonnamment rigide. Magique !

ISSEY MIYAKE

Commissaire de l’exposition : Yayoi Motohashi, conservatrice au National Art Center de Tokyo

MIYAKE ISSEY EXHIBITION : THE WORK OF MIYAKE ISSEY

Jusqu’au 13 juin, au National Art Center, 7-22-2 Roppongi, Minato-ku, Tokyo (Japon), tél. 81 (0) 3-6812-9925

www.nact.jp/english/.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Le monde matériel d’Issey Miyake

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