Design

Mobiliers extrêmes

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 27 avril 2016 - 760 mots

Le luxe extravagant des frères brésiliens Campana, tout comme l’épure rigoureuse de l’Allemand Konstantin Gric affichent des prix qui n’ont rien à envier à ceux de l’art contemporain.

PARIS - C’est peu ou prou le mariage d’une carpe et d’un lapin. Deux galeries de design parisiennes proposent, ces jours-ci, des travaux qui pourraient être des antithèses les uns des autres. D’un côté, à la Carpenters Workshop Gallery, l’excentricité baroque des frères brésiliens Fernando et Humberto Campana. De l’autre, à la Galerie Kreo, l’esthétique ascétique du designer allemand Konstantin Grcic.

Excentricité et raffinement
Dans le premier lieu donc, la présentation s’intitule « Manufatura », autrement dit « manufacture », en portugais. On connaît la passion des Campana pour les savoir-faire et la culture populaire de leur pays natal. On sait aussi leur inclination envers les matériaux raffinés. Les pièces, ici, rassemblées mixent à l’envi les deux registres. Certes, s’y affichent inévitablement quelques pièces « excentriques », à l’image du moelleux canapé Bolotas (huit exemplaires, 38 000 euros pièce), en épaisse laine de mouton marron. Idem pour le bougeoir Larmes de crocodile (douze exemplaires, 39 000 euros pièce), taillé dans un marbre antique et assailli par une armée de mini-reptiles en bronze doré, ou de la table d’appoint Ofidia (vingt-cinq exemplaires, 12 500 euros pièce), en bronze coulé façon corde se tortillant tel un serpent. Dernières nées, les tables basses Animal Center (huit exemplaires chacune, 26 000 euros pièce) arborent des plateaux en marqueterie de paille du plus bel effet, technique dont usa le décorateur français Jean-Michel Frank. Fabriquée avec des essences typiques brésiliennes telles que le Sucupira et le Freijo, la série Detonado – une bibliothèque modulable (huit exemplaires, 34 000 euros pièce), une console (huit exemplaires, 30 000 euros pièce) et un buffet (huit exemplaires, 32 000 euros pièce) – est un habile travail de patchwork de cannages d’osier traditionnellement tissés à la main, issus d’anciennes chaises Thonet. Ces fragments récupérés sont maintenus grâce à un astucieux tressage de nylon façon raquette de tennis, quasi invisible. Bel ouvrage, enfin, que la chauffeuse Raquette (huit exemplaires 24 000 euros) en rotin et en osier, rehaussée d’une subtile et très graphique surpiqûre.

Tension entre le corps et l’esprit
À la galerie Kreo, Konstantin Grcic, lui, a baptisé cette exposition « Hieronymus » en référence à un tableau d’Antonello de Messine qui l’a, jadis, fortement marqué : Saint Jérôme dans son étude, dans lequel on voit le moine devant un étonnant « bureau », tel un savant absorbé dans sa lecture. « Je voulais concevoir un meuble qui ne soit pas seulement un “support”, mais devienne un espace pour se concentrer, explique le designer. La notion de contact physique est très importante, il fallait que l’on se sente comme “à l’intérieur” du mobilier. » Bref, une recherche radicale et en rupture avec l’usage habituellement unique que l’on assigne à un meuble.

Cinq matériaux – noyer, marbre, ciment, aluminium, résine – pour cinq pièces à la précision chirurgicale, presque des sculptures. Tous permettent néanmoins de s’asseoir selon différentes positions : côte à côte, quasi allongé, appuyé sur une fesse… plus ou moins confortablement. « Je voulais conserver un peu de tension entre le corps et l’esprit, indique Konstantin Grcic. Peu de meubles peuvent provoquer cette sensation. » Ainsi, l’assise du « bureau » en ciment et en résine est légèrement inclinée, si bien que l’utilisateur glisse un brin, s’il ne se cale pas dans le repose-pieds prévu à cet effet. Le « meuble » en aluminium, qui n’est pas sans évoquer un confessionnal, arbore une anodisation incroyablement velours. Une troisième pièce, elle, se fait carrément ovni. De forme ovoïde, réalisée en impression 3D avec un mélange de sable et de résine, elle peut accueillir une multitude d’utilisateurs en une multitude de positions, et s’installer aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Hormis cet « œuf » conçu à trois exemplaires, toutes les autres pièces sont éditées à huit exemplaires. Les prix vont de 35 000 euros pour le « meuble » en noyer à 95 000 euros pour « l’ovni ».

Côté marché, on évoque, de part et d’autre, « une clientèle qui s’internationalise ». Conséquence, semble-t-il, logique de leurs volontés respectives d’être visibles à l’étranger avec, pour la galerie Kreo, l’ouverture, en 2014, d’une filiale à Londres et pour la Carpenters Workshop Gallery, l’inauguration, l’an passé, d’un quatrième espace à New York (après Paris et les deux sites londoniens).

Fernando et Humberto Campana
Nombre de pièces : 1 538 000 à 125 000 €

Konstantin Grcic
Nombre de pièces : 535 000 à 95 000 €

FERNANDO ET HUMBERTO CAMPANA, MANUFATURA
Jusqu’au 19 mai, à la Carpenters Workshop Gallery, 54, rue de la Verrerie, 75004 Paris, tél. 01 42 78 80 92, www.carpentersworkshopgallery.com.

KONSTANTIN GRCIC, HiERONyMUS
Jusqu’au 16 juillet, à la galerie Kreo, 31, rue Dauphine, 75006 Paris, tél. 01 53 10 23 00, www.galeriekreo.com.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : Mobiliers extrêmes

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