Directeur général de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville

François Brouat : « La profession d’architecte va mal »

Haut fonctionnaire du ministère de la Culture depuis 1996, François Brouat est directeur régional des affaires culturelles en Aquitaine (2003-2008), puis en PACA (2008-2011), avant de rejoindre Bertrand Delanoë comme conseiller culture.

Brièvement directeur des affaires culturelles de la Mairie de Paris, il est nommé à la tête de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville en février 2014. Il est, depuis juillet 2015, président du Collège des directeurs des écoles nationales supérieures d’architecture.

Votre concours d’entrée change en septembre prochain. Pourquoi ?
Jusqu’en 2014, chaque école nationale supérieure d’architecture (ENSA) avait son propre dispositif. À Belleville, après la sélection sur dossier, nous avions trois tests : logique et géométrie, dessin, épreuve écrite. Le ministère de la Culture et de la Communication a souhaité uniformiser les modalités de recrutement. Pour préserver la diversité, nous ne pouvions pas nous contenter des notes du bac ou même de l’examen du dossier scolaire. Aussi, sur 2 500 dossiers reçus (en moyenne), nous retenons environ 600 candidats en entretien. Nous intégrons généralement 125 étudiants (5 % de sélectivité en moyenne).

Ce système unique (dossier scolaire entretien) signe-t-t-il la fin des classes préparatoires spécialisées ?
Devant l’absence de formation au lycée, nous préférons partir de rien que créer des inégalités avec des prépas privées. Ces dernières n’auront a priori plus lieu d’être.

L’étude menée par le ministère sur l’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur culturel (voir JdA 448, janvier 2016) montre un chômage de 13 % chez les architectes. La crise n’en finit pas ?
Les architectes sont traditionnellement absents des programmes de maisons individuelles et de lotissements, et s’appuient donc depuis trente ans sur la commande publique… qui s’est effondrée depuis cinq ans. La profession d’architecte va mal, comme en témoigne le tableau que la profession donne d’elle-même dans l’excellent rapport Bloche : il y a deux fois plus d’architectes par habitant en Allemagne qu’en France, pour un chiffre d’affaires deux fois supérieur ! Devoir abaisser le seuil d’obligation de recours montre bien que nous avons encore un problème culturel avec le recours à l’architecte.

Justement, la politique a réinvesti la question : rapport Feltesse (2013), rapport Bloche (2014), stratégie nationale pour l’architecture (SNA, 2015)… Les choses changent-elles ?
Oui. Le rapport Feltesse de 2013, est l’aboutissement, le constat d’une immense transformation commencée en 1968. Depuis quarante ans, les écoles ont abandonné leur académisme, où l’apprentissage était pensé par des maîtres pour des disciples, pour devenir de véritables établissements d’enseignement supérieur et de recherche, qui embrassent la complexité de la discipline, en intégrant une dimension critique sur l’objet d’étude. Mais les structures n’avaient pas beaucoup bougé depuis 1978. Nous avons enfin la réponse institutionnelle à l’évolution scientifique et pédagogique des écoles. Elle commence par la reconnaissance du statut d’enseignant chercheur pour les architectes (en cours d’adoption, ndlr).

Que retenez-vous de la SNA, pour l’avenir des écoles ?
Nous avons travaillé à la reconnaissance de notre expertise. Pour penser les politiques publiques, le réseau des vingt ENSA est un formidable outil qui pourrait être davantage mis à contribution par les responsables des politiques publiques.

N’est-ce pas lié au défaut de coordination des écoles ? En comparaison, les écoles d’art se sont rassemblées au sein de l’ANdÉA.
Nous avons un réseau, le Collège des directeurs et directrices d’ENSA, dont je suis actuellement président. Il a beaucoup œuvré pour la réforme LMD en 2005 et fut à la source de la Concertation nationale sur l’architecture qui a abouti au rapport Feltesse. Mais c’est un lieu de discussion plus que de collaboration. C’est pourquoi le collège devient une association dont je viens de déposer les statuts ! Lorsque je suis arrivé, j’étais étonné que toutes les écoles soient membres de communautés universitaires, aient des codiplomations avec de grands établissements d’enseignement supérieur et de recherche, alors qu’aucune coordination pédagogique n’existe entre elles, notamment celles du grand Paris (Paris-Malaquais, Paris-Belleville, Marne-la-Vallée, Paris-Val-de-Seine, Paris-La Villette et Versailles). Alors même qu’on apprend à nos étudiants qu’il faut penser à l’échelle du territoire.

D’où vient la faiblesse de cette coordination ?
Elle est liée à l’histoire, simplement : les ENSA sont nées de l’éclatement de l’École des beaux-arts, il a fallu pour chacune assurer sa pérennité d’abord.

Quels sont les enjeux de cette collaboration naissante ?
Beaucoup pourrait être fait sans altérer en rien la singularité du projet pédagogique et scientifique des écoles. Par exemple, en Île-de-France, il n’existe aucune offre de formation continue diplômante pour les architectes. Si un professionnel compétent veut devenir architecte, il devra aller à Lyon. Nous devons construire une offre rapidement, commune si possible. Nous pourrions aussi être davantage force de proposition sur le grand Paris. Ensemble, ce serait l’idéal.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : François Brouat : « La profession d’architecte va mal »

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