Histoire

Le patrimoine en guerre

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2016 - 385 mots

La Cité de l’architecture ranime une exposition qui, en 1916, mit en scène les meurtrissures du patrimoine.

PARIS - Les expositions qui ressuscitent des expositions passées ne sont pas fréquentes. On se souvient de « Degenerate Art » à la Neue Galerie à New York, qui a fait revivre la tristement célèbre exposition nazie de 1937. Réexaminer le contenu d’une exposition constitue une bonne manière de rendre compte du regard porté sur l’art à un moment de l’Histoire. Centenaire oblige, la Cité de l’architecture et du patrimoine montre aujourd’hui comment, durant la Première Guerre mondiale, Paris exhibe le patrimoine meurtri par la guerre dans le but d’entretenir la colère contre l’Allemagne.

Le point d’orgue de ce petit parcours est sans conteste la section consacrée à « L’exposition d’œuvres d’art mutilées ou provenant des régions dévastées par l’ennemi », qui s’est tenue de novembre 1916 à décembre 1917 au Petit Palais, à Paris. Si la Cité n’a pas reconstitué cette vaste manifestation qui rassembla environ 300 œuvres fracturées, calcinées, mutilées par les combats autour de la ligne de feu allant du Nord à l’Alsace, elle en livre un bon aperçu grâce à des vues de l’exposition prises en décembre 1916 par l’agence Rol. Ces photographies documentent l’exposition, mais c’est surtout la présentation de quelques œuvres choisies qui donne la mesure de ce que les visiteurs ont pu voir jadis dans les couloirs du Petit Palais. Cent ans plus tard, ces objets, venant souvent d’églises, ont conservé leurs stigmates, à l’image de ce ciboire éventré, élevé jadis comme une preuve de l’anti-catholicisme allemand. Ou de cette statue de saint Sébastien criblée non pas de flèches mais d’impacts de balles dont une récente restauration a pris soin de préserver les douleurs.

Le choix a été fait ici de placer les fragments de la statue de saint Tarcisius, martyr chrétien sculpté par Falguière, dans la même configuration qu’il y a cent ans. Le saint au beau visage surélevé semble contempler douloureusement, tel un soldat au front, les débris de ses membres. Cette œuvre illustre un des ressorts de l’exposition de 1916 : faire des œuvres meurtries les métaphores des blessures infligées aux Français. Mais loin de simplement retranscrire la vision de l’époque, l’exposition replace la manifestation dans son rôle de propagande, donnant là les clefs d’une lecture plus contemporaine.

1914-1918. Le patrimoine s’en va en guerre

Jusqu’au 4 juillet, Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris, tél. 01 58 51 52 00, www.citechaillot.fr, tlj sauf mardi 11h-19h, jusqu’à 21h le jeudi, entrée 12 €. Catalogue, Éditions Norma, 96 p., 15 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°455 du 15 avril 2016, avec le titre suivant : Le patrimoine en guerre

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