Niele Toroni : « Je suis bêtement peintre ! »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2016 - 776 mots

Imperturbablement et avec toujours autant de maîtrise et de fausse légèreté, Niele Toroni (né en 1937) poursuit l’exploration de ses « Empreintes de pinceau n° 50 » à la galerie Marian Goodman, à Paris, dans un accrochage mêlant œuvres récentes et travaux anciens.

Vous venez de réaliser trois grands tableaux carrés. Qu’est-ce qui vous a conduit à revenir à ce format ?
Il est vrai que j’en ai déjà fait, j’aimais bien parce que, à une époque, je travaillais sur un mètre carré ou deux mètres carrés, et sur les murs comme je voulais. Et puis j’ai réalisé d’autres formats et il y a longtemps que je n’avais plus fait de grands travaux de plus deux mètres sur deux. Le lieu s’y prêtant, je pouvais venir travailler ici parce que chez moi je n’ai plus de grand espace. Je suis venu pendant quatre jours, je marquais ma toile, je la peignais, j’ai eu le temps de travailler à mon rythme. Je me disais que ce mur serait très beau avec trois toiles avec des couleurs primaires. Et après j’ai pensé à d’autres interventions murales, puis en voyant ces murs [encadrant les fenêtres] je me suis dit que j’avais deux petits tableaux orange à la maison et qu’ils seraient à leur place avec les arbustes derrière la fenêtre. Les expositions se font en les faisant.

Donc, quand vous travaillez sur une exposition, vous n’avez jamais de plan préétabli et vous vous laissez guider par les lieux ?

Ici, je me dis depuis longtemps qu’il y a un grand travail à faire dans l’escalier, mais il faut aller tout en haut et je ne peux plus me le « coltiner ». Cette fois j’ai préféré faire d’une façon « bête » une exposition classique. Ce qui m’intéresse, c’est que je donne à voir de la peinture, celle que moi je considère être une des peintures possibles, c’est-à-dire la base, l’empreinte du pinceau, l’instrument pictural qui laisse son empreinte. Et puis voilà, ça marche ! Et ce qui m’intéresse ce sont les gens, ce qu’ils en pensent, ce qu’ils voient. S’ils espèrent trouver des anecdotes ou des histoires « olé olé », il ne faut pas venir voir mes expositions. Mais si quelque part la peinture les intéresse, alors peut-être… et après c’est à eux de travailler. Il n’y a chez moi pas d’idées préconçues pour illustrer quoi que ce soit. Je n’illustre rien, c’est le résultat d’un travail pratique. Comme je dis, « je suis bêtement peintre ! »

Une empreinte est une marque distinctive. Lorsqu’en 1966 vous avez élaboré votre système de travail, souhaitiez-vous créer un mode d’expression qui soit à la fois immuable et immédiatement reconnaissable ?
Même pas ! C’était car j’avais peint beaucoup et beaucoup de choses. Ça, c’est mon histoire. Avant les empreintes, j’achetais des gerflex linoleum pas chers et je me disais qu’au fond, peindre, c’était faire un boulot : peindre de 9 heures à 12h30, manger un sandwich, revenir et reprendre jusqu’à 18 heures. Je repeignais les carrés déjà dessinés sur ce gerflex, je les ai peints roses et noirs, ou blancs et bleus. Je ne pouvais pas m’en payer des masses et je les repeignais. Plus tard, je me suis aperçu qu’apparaissait, derrière, un « coup de pinceau ». Je pensais qu’en le faisant comme un geste qui marque simplement, il y avait peut-être quelque chose qui se passait de l’ordre de la peinture. C’est ce qui m’intéressait. Puis, j’ai vu qu’à un certain moment, ce qui échappait le plus à toute lecture classique, expressionniste, impressionniste – tout ce que l’on veut – et qui laissait une espèce de lecture entre le peint et le non-peint, le fond et l’intervention, c’était ce qui était fait avec un pinceau numéro 50, qui donnait cette forme presque carrée sans être un carré, peut-être davantage un trapèze.

On vous a souvent qualifié de peintre conceptuel. N’y a-t-il pas là un contresens dans la mesure où, dans le conceptuel, l’énoncé prime souvent sur une réalisation potentielle ?
Oui, ça, je ne crois pas du tout. J’ai toujours dit « appelez-moi minimal si vous voulez, mais… » je n’ai jamais pu résoudre les problèmes de peinture assis à ma table. J’ai toujours été très étonné, surtout en France, de voir plein de gens essayer de faire ça et arrêter  la peinture ensuite. La peinture est quelque chose de physique. Je me permets – peut-être parce que je vieillis et lorsqu’on vieillit on devient « con » ?– de dire que l’on peut contredire Léonard de Vinci : « Pittura è cosa mentale ». Connerie ! La peinture est une chose physique, matérielle. En tout cas, pour moi et aujourd’hui.

Niele Toroni. En passant

Jusqu’au 16 avril, Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Niele Toroni : « Je suis bêtement peintre ! »

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