Féminisme

Chicago blues

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2016 - 720 mots

Le CAPC présente pour la première fois en France une vaste sélection de l’œuvre de Judy Chicago,
pionnière de l’art féministe, malheureusement ternie par la présence de trop nombreuses reproductions.

BORDEAUX - La moue frondeuse, Judy Gerowitz se présente en octobre 1970 sur une page de publicité de la revue Artforum et assume d’y changer de patronyme pour celui de Chicago, sa ville natale, afin d’abandonner un nom « imposé par la domination sociale masculine ».

Née en 1939, elle est très vite partie étudier à Los Angeles et amorce sa carrière avec des préoccupations relatives à la lumière et la couleur, en usant notamment de matières acryliques qui aident à une diffusion précise de la luminosité sur des tableaux géométriques empreints de l’obsession californienne d’alors pour le « Finish Fetish » (Pasadena Life Savers Series, 1969-1970). Mais la forte femme qui déjà ne sommeille plus en elle en est convaincue, son engagement artistique doit être appuyé par un engagement féministe. « J’ai toujours senti que je devais cacher ma féminité et être dure dans ma personnalité comme dans mon travail », écrira-t-elle dès 1975 dans son ouvrage Through the Flower : My Struggle as a Woman Artist (À travers la fleur. Mon combat en tant que femme artiste) pour justifier cette nécessaire rébellion.

Très vite les connotations sexuelles affleurent plus ou moins ouvertement dans son travail. Avec une stupéfiante maîtrise des surfaces, ses peintures prennent un tour psychédélique et manient l’allusion, avec force motifs floraux et solaires notamment (Through the Flower, 1973).

50 ans d’engagement féministe
Organisée par Xabier Arakistain pour le Centre Azkuna Zentroa de Bilbao où elle fut présentée avant le CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux, l’exposition « Why not Judy Chicago ? » n’a ainsi pas été pensée comme une rétrospective, mais plutôt comme une lecture de cinquante ans de production d’un engagement féministe.

Plastiquement, tout n’y est pas d’un niveau égal, mais l’ensemble se montre d’une remarquable cohérence quant à la volonté revendiquée de pallier le déficit d’imagerie dans la représentation des femmes et de féminiser l’atmosphère, comme elle le fera au tournant des années 1970 en installant des feux d’artifices, qui viennent colorer et adoucir une architecture environnante jugée trop stricte et dominante. Le lien très marqué à la terre est également très frappant dans l’iconographie de Judy Chicago. Quelque chose d’une énergie tellurique qui fait se mêler corps, sexe et paysage dans des compositions puissantes, où se rejoignent des zones colorées aux délimitations clairement marquées, dans des œuvres picturales, mais aussi textiles (The Creation (from the Birth Project), 1984).

Des reproductions d’œuvres
Mais la forme de cette proposition comporte un écueil majeur : la moitié des œuvres sont en fait des reproductions. Pas des copies d’expositions comme il est parfois donné d’en voir, mais des tirages en couleur sur papier, au format original, fixés au mur. Clairement identifiées par des lisérés noirs qui les encadrent en haut et en bas, elles ne peuvent donc pas véritablement, pour le public, prêter à confusion dans leur lecture. Encore que… Clairement assumé par le commissaire, ce choix tient dans la volonté d’offrir une vue étendue de l’art de Judy Chicago, qui se serait heurtée à des difficultés à la fois de disponibilité des œuvres et de budget, au vu des coûts de transport depuis l’Amérique du Nord.

Parfaitement audibles, de tels arguments se heurtent néanmoins au fait qu’une pareille présentation est effectuée dans un musée, dont l’une des missions est d’éduquer le public au contact des œuvres. Un public à qui il a suffisamment été rabâché que rien ne remplace l’expérience de l’œuvre, particulièrement aujourd’hui à l’heure de la circulation accélérée des images sur tous les écrans imaginables, pour que ce principe cardinal ne soit pas mis en défaut. Et en effet, rien de la texture des tapisseries ou de la magnifique subtilité du velouté des peintures des années 1970 ne ressort sur ces reproductions, pour ne prendre là que deux exemples.

Quant à aller expliquer à des élus locaux et autres argentiers, souvent assez enclins à couper dans des budgets culturels de plus en plus faméliques, que l’on peut faire avec des photographies des expositions finalement pas si mal pour pas trop cher, voilà qui pourrait créer un précédent des plus périlleux.

WHY NOT JUDY CHICAGO ?

Commissaire : Xabier Arakistain
Nombre d’œuvres : 53, dont 26 reproductions

WHY NOT JUDY CHICAGO ?

Jusqu’au 4 septembre, CAPC-Musée d’art contemporain, 7, rue Ferrère, 33000 Bordeaux, tél. 05 56 00 81 50, www.capc-bordeaux.fr, tlj sauf lundi11h-18h, mercredi 11h-20h, entrée 6,50 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Chicago blues

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