Photographie

Lumière sur Fernell Franco

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2016 - 694 mots

La Fondation Cartier pour l’art contemporain organise la première monographie en Europe du photographe colombien mort en 2006. Une révélation.

PARIS - Au nom de Fernell Franco (1942-2006) on pourra désormais associer un ensemble de photographies, et inversement. Par exemple l’image connue, en plongée, de la cour intérieure d’une demeure au sol en damier que traverse en diagonale, et en plein soleil, un homme chapeauté ; ou celles frontales composant « Amarrados », série noir et blanc sur des marchandises emballées dans de la toile, ficelées, puissantes dans leur masse autant que dans leurs métaphores, celles d’assassinats perpétrés en Colombie ou de déménagements forcés. Ou aussi ces hommes rassemblés autour de tables de billard et le jeu de tirages réalisés d’après cette même image, matrice d’expérimentations diverses (recadrage, coloriage, collage, obscurcissement ou éclaircissement de ces parties).

Avant l’exposition de la Fondation Cartier on ne connaissait pas ou peu Fernell Franco. Le corpus de photographies portant sur le quotidien d’un groupe de jeunes prostituées (« Prostitutas », 1970-1972) a été le premier travail personnel de Franco alors photographe de mode et de publicité, puis photojournaliste, un temps. Il sera en effet animé toute sa vie par le souci de documenter son pays, la Colombie, en dehors de Cali où il a vécu de l’âge de 8 ans jusqu’à sa mort à 63 ans, à la suite d’un infarctus. L’exposition se concentre sur ce qui fait la spécificité de son œuvre, non sans toutefois placer, en contrepoint, dans un espace réservé, l’effervescence culturelle et artistique de Cali au cours des années 1970-1990.

Une scène mal connue
Programmée dans le cadre du festival Photoquai 2013, l’exposition « Nocturnes de Colombie », au Musée du quai Branly, avait apporté un éclairage sur cette scène photographique colombienne mal connue et représentée dans l’Hexagone essentiellement par Oscar Muñoz. Les créations de Juan Manuel Echavarría, José Alejandro Restrepo, Miguel Ángel Rojas (et Oscar Muñoz) témoignaient des différentes formes de violence dans la société colombienne et de l’amnésie engendrée par la guerre civile. Dans le documentaire projeté dans les espaces d’exposition, Fernell Franco dit ainsi : « Je n’ai jamais pu m’habituer à la violence. » Violence qu’il a connue enfant. La guerre civile opposant conservateurs et libéraux a poussé ses parents à emménager à Cali, ville elle-même frappée d’attentats, d’assassinats et de répressions. Cette violence faite au corps (humain comme bâti), s’il n’en rend pas compte de manière directe, filtre dans certaines des séries réalisées entre 1970 et 1996 : dans « Prostitutas », « Amarrados » mais aussi « Retratos de Ciudad » (portant sur des manifestations de rue) ou dans « Demoliciones », série centrée sur les destructions à Cali des habitats construits dans les années 1930 et 1940, ou encore dans « Pacifico », décrivant le délabrement, la pauvreté à Buenaventura.

Fernell Franco exprime par l’image ce qui le touche, ce qui l’indigne, guidé par la lumière du jour et son pendant, l’ombre, proche de l’obscurité ou de la nuit. Il regarde ce que dit de l’époque la ville, ses intérieurs et ses habitants. Des thèmes qui sont le cadre et les supports de ses explorations dans la chambre noire ou à sa table de travail où il joue par exemple des différents contrastes. Une même prise de vue donne alors naissance à une variation dans l’image ou le point de vue, à des collages et différents formats convoquant parfois l’estampe, le dessin ou le cinéma dans sa recherche d’expression, entre présence et disparition. Pas une série n’échappe à cette démarche comme le démontre l’accrochage.

Par son titre, « El Principio de la Empatía », la commande passée par la Fondation Cartier à Oscar Muñoz, ami de Fernell Franco, ramène de son côté à l’homme qu’il fut, l’installation ayant été réalisée autour de la table de travail du photographe et à partir d’images de sa maison en cours de réaménagement. Car chez Fernell Franco il s’agit avant tout d’empathie avec son sujet et d’une recherche de ses différents états, sans définir celui qui serait le plus juste.

Fernell Franco

Commissaires : Alexis Fabry, commissaire spécialisé dans la photographie latino-américaine ; Maria Wills Londoño, commissaire indépendante
Nombre de photographies : 140

Fernell Franco, Cali clair-obscur

Jusqu’au 5 juin, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail 75014 Paris, tél. 01 42 18 56 50, www.fondation.cartier.com, tlj sauf lundi, 11h-20h, jusqu’à 22h le mardi, entrée 9 €. Catalogue, coéd. Fondation Cartier/Toluca Editions, Paris, 296 p., 40 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : Lumière sur Fernell Franco

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