Défense

L’« Hexagone Balard », plus imposant que furtif

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2016 - 983 mots

Le nouveau siège du ministère de la Défense, regroupant les services répartis jusqu’alors sur douze sites, est une forteresse monumentale et complexe, dont la réalisation architecturale n’est pas à la hauteur de ses ambitions.

PARIS - Projet d’exception dans la capitale inauguré en novembre dernier, le ministère de la Défense est un mastodonte de béton, d’acier et de verre qui affiche un palmarès de chiffres exceptionnels : sur une parcelle de 8 hectares encadrée par le périphérique et le boulevard du Général-Martial-Valin dans le 15e arrondissement, l’édifice totalise une superficie de 163 000 m2 et il accueillera à terme 9 300 usagers, dont 65 % de militaires. Il comporte la plus vaste toiture photovoltaïque de Paris avec 6 500 m2 de panneaux. Essentiellement composé de bureaux, il intègre par ailleurs, un salon de coiffure, un restaurant de 700 places, une cafétéria, une piscine, deux crèches et un pôle santé. L’ensemble a été réalisé pour 350 millions d’euros hors taxes.

C’est sous la présidence Sarkozy, qu’avait été entérinée en 2007 la décision de bâtir un nouveau lieu pour le ministère de la Défense. Ce choix était motivé par le souci de regrouper en un même site les états-majors des trois armées (terre, mer et air) et la totalité des services de la Défense française, jusqu’ici répartis sur douze sites. Ce remembrement engendrerait des économies, notamment par la vente des anciens bâtiments de l’armée, comme l’hôtel de la Marine, place de la Concorde.

Un partenariat public privé discutable
C’est à l’architecte Nicolas Michelin, créateur de l’agence ANMA et ses deux alter ego, Michel Delplace et Cyril Trétout, qu’a été confiée l’opération à l’issue d’un concours en 2011. Cette dernière a été réalisée avec l’entreprise Bouygues dans le cadre d’un partenariat public privé (PPP) : un consortium d’entreprises mené par Bouygues a assuré la construction et prend en charge la maintenance et l’entretien du site pendant 27 ans. En contrepartie l’État lui paie un loyer annuel de 154 millions d’euros. Ce modèle contesté dès son annonce et qui avait fait couler beaucoup d’encre est justifiée par Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration : « Balard, ce n’est pas qu’un bâtiment, c’est un système d’informations, complexe, qui doit être hautement sécurisé. Le choix s’est porté vers un PPP pour le respect des coûts et des délais et pour l’étalement de la dépense. L’argent récupéré sur les douze sites couvrira le loyer », précise le haut fonctionnaire.

Du point de vue de l’architecture, Nicolas Michelin présente le ministère comme « un bâtiment “oxymorique”, à la fois régalien et discret, monumental et furtif ». Concrètement, l’édifice épouse strictement les contours de la parcelle qui lui a été attribuée, tout en intégrant à l’angle nord-est, l’ancien édifice Perret réhabilité. En cœur d’îlot est édifié un hexagone massif qui abrite les plus hautes autorités militaires et dont la prolongation de chacun des segments génère une matrice. Cette dernière, tel un rhizome, s’étend sur le restant de la parcelle jusqu’à rejoindre son périmètre construit. Entre ces ramifications posées sur pilotis, les creux sont aménagés en jardins rappelant pour les architectes « l’idée du campus américain ou l’Université de Jussieu » dans le 5e arrondissement parisien. Épais de onze mètres, ces corps de bâtiments contiennent les bureaux distribués de part et d’autre de longs couloirs centraux. Une configuration permettant selon les architectes de « faire du bureau autrement » en dotant par exemple chaque pièce de travail « de lumière naturelle et d’une fenêtre ouvrant sur l’extérieur ». On ose justement à peine imaginer qu’il en fut différement. « Outre les aspects sécuritaires, il fallait aussi organiser des connexions », précise Nicolas Michelin. Le bâtiment contient différents services compartimentés (armée de terre, de l’air, la marine, différents services du ministère…). Pour aller de l’un à l’autre, il faut redescendre au rez-de-chaussée et emprunter un cheminement extérieur qui relie les bâtiments entre eux. Mais certains services, comme l’ensemble des ressources humaines, ne sont pas soumises à ce détour et sont reliés par des correspondances, chacun étant logé dans son propre bâtiment mais tous au même niveau.

Le ministre préfère rester à l’hôtel de Brienne

Concernant la matérialité, la construction verse dans la métaphore : « On aime faire des choses qui ne se voient pas », poursuit Nicolas Michelin. Aussi l’ensemble des trois façades sur rue, « longue enceinte blanche évoquant la pensée », s’inspirent-elles de falaises et  sont faites de strates de verre aux tonalités laiteuses. L’idée était d’obtenir une paroi abstraite où l’on ne distingue plus les fenêtres. La réification se montre hélas peu probante et les six niveaux d’ouvrants dessinent des horizontales affirmées dans le paysage, bien loin du brouillage escompté. Côté périphérique, l’édifice fait référence au furtif et plus précisément aux formes anguleuses des avions militaires noirs et compacts. À l’arrière, la forteresse se transforme alors en une topographie de métal noir, où toiture et parois se confondent tandis que « les trois vastes cheminées symbolisent les trois corps de l’armée réunis ». Quant à l’habillage de pixels de verres colorés en cœurs d’îlots, ils sont pour les architectes de l’ordre du camouflage : camaïeux de verts pour l’armée de terre, tandis que la marine et l’air déclinent les bleus.

Au final, la traduction bâtie de ce mélange d’idées s’avère peu convaincante. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian a décidé de rester à l’hôtel de Brienne – qui, lui, ne sera pas mis en vente – et il n’occupera pas son bureau et appartement sur le site Balard. Certes, il faut garder à l’esprit, comme le répète avec plus d’enthousiasme Nicolas Michelin à chaque présentation du projet, que « si nous avons un ministère, c’est pour qu’il n’y ait pas de guerre ».

Au-delà de ces bonnes intentions, il reste qu’à l’instar des grands projets parisiens, récents ou en cours – la Philharmonie, la canopée des Halles – l’enjeu urbain est un raté à la hauteur de l’échelle du bâtiment.

Fiche technique

Maître d’ouvrage :
Commanditaire et utilisateur : ministère de la Défense
Société de projet : Opale Défense
Membre du groupement conception réalisation : Bouygues Bâtiment ; Thales ; Sodexo ; Dalkia ; Bouygues énergie

Superficie : 163 000 m2 SHON

Coût : 350 M € HT

Concours : Projet lauréat en janvier 2011

Mise à disposition : février 2015

Légende photo

Agence Nicolas Michelin & Associés, L'Hexagone Balard. © Photo : Cécile Septet.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : L’« Hexagone Balard », plus imposant que furtif

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