Marcel Broodthaers, en français dans le texte

Marcel Broodthaers au MoMA de New York

Le MoMA organise la première rétrospective américaine de l’artiste belge. Avec force traductions et mises en perspective, elle explore la poésie et l’écriture dans son œuvre artistique.

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2016 - 715 mots

Quarante ans après sa disparition, l’artiste belge Marcel Broodthaers est l’objet d’une belle rétrospective. Une initiative tardive, mais audacieuse, compte tenu de l’importance donnée au texte écrit, en français, dans l’œuvre du poète et plasticien. L’exposition surmonte la réticence habituelle des Américains pour une langue étrangère, grâce à une médiation efficace.

NEW YORK - Jean-François Chevrier l’écrit sans détours dès l’ouverture de son essai publié dans le catalogue accompagnant l’exposition « Marcel Broodthaers : A Retrospective » proposée à New York par le Museum of Modern Art : « Broodthaers était un poète. Lorsqu’il a embrassé les arts visuels, il n’a pas rejeté la poésie, mais a plutôt modifié son activité poétique hors de l’espace convenu du poème et du livre conçu tel une collection de poèmes. »

Et effectivement, beaucoup de cette démonstration prend appui sur la problématique d’une écriture sortie du cadre qui est le sien, comme le réaffirme à mi-parcours ce qui sans doute est le plus beau film de l’artiste belge (1924-1976), La Pluie (Projet pour un texte) (1969). Film dans lequel il s’ingénie à poursuivre son activité d’écriture en plein air, malgré l’averse qui s’abat sur lui et efface les lignes d’encre : une somptueuse métaphore de l’escapade du texte !

Donner forme à la poésie, voilà l’une des grandes affaires de l’artiste qu’entend pour l’essentiel explorer cette exposition. La première salle donne à voir beaucoup de matière écrite, des ouvrages mais aussi des textes, comme ce court poème dédié à la moule, anticipateur de développements plastiques à venir. C’est en 1964 que se produit le basculement avec une sculpture en plâtre qui emprisonne les copies invendues de son dernier recueil de poèmes, Pense-Bête. Marcel Broodthaers y fait montre d’une appétence certaine pour s’immiscer dans les espaces interstitiels, entre humour (un tableau noir sur lequel des coquilles d’œuf sont qualifiées de « moules » [L’Erreur, 1966]) et considérations d’ordre politique (un exemplaire du journal Le Soir consacrant sa une au Congo et partiellement recouvert d’œufs peints en noir et intitulé Le Problème noir en Belgique [1964]).
Souvent l’écriture est mise en exergue. C’est le cas dans le film Le Corbeau et le Renard (1967-1968) qui, en plus de l’image littéralement projetée sur un extrait du texte, a donné lieu à de nombreuses créations – telle cette belle photo sur toile figurant l’artiste de dos écrivant le poème et devant laquelle se tient une machine à écrire, d’où sort le texte pourtant manuscrit. Mais aussi dans sa réinterprétation de Mallarmé, où l’écriture sur des plaques d’aluminium est recouverte par des traits noirs, devenant presque des tableaux abstraits (Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, 1969).

Matérialiser la littérature
L’orientation donnée à cette exposition n’est pas étonnante au vu de la personnalité de ses deux commissaires : Christophe Cherix, conservateur en chef du MoMA pour les dessins et imprimés, et Manuel J. Borja-Villel, directeur de Museo Reina Sofía à Madrid (qui accueillera la manifestation à l’automne prochain), dont est connu le penchant pour la perspective littéraire dans l’art.
Or s’il a fallu attendre quarante ans après la mort de l’artiste pour lui consacrer sa première rétrospective aux États-Unis, sans doute y a-t-il eu des contingences de langue, tout son œuvre comprenant des textes, allusions et jeux de langage rédigés en français. L’initiative de l’institution new-yorkaise n’en est donc que plus louable, dépassant les réticences connues du public américain à s’immerger dans un travail porté par une langue qui n’est pas la sienne. Un matériel didactique conséquent a néanmoins été bien pensé, avec de nombreuses traductions et notices explicatives, s’agissant pour replacer les œuvres dans leur contexte.

Si dans le cours de l’exposition une section consacrée au Musée d’art moderne-Département des Aigles donne à voir des installations parmi les plus connues de l’artiste – mais dont il est difficile de se lasser, tel le mélancolique Jardin d’hiver (1974) –, la dernière partie consacrée aux décors de la fin de sa carrière montre encore l’importance de la littérature dans l’œuvre. Ainsi de la fameuse Salle blanche (1975) dans laquelle l’écrit a repris sa liberté en laissant les mots courir sur les murs, ou encore ce Tapis de Sable (1974) au milieu duquel est planté un palmier et qui est bordé par les lettres d’un alphabet ordonné jusqu’à ce que le y et le z ne s’échappent. Sortir du cadre encore…

MARCEL BROODTHAERS

Commissariat : Christophe Cherix et Manuel J. Borja-Villel
Nombre d’œuvres : 200

MARCEL BROODTHAERS : A RÉTROSPECTIVE

Jusqu’au 15 mai, Museum of Modern Art, 11 West 53 Street, New York (États-Unis), www.moma.org, tlj sauf mardi 10h30-17h30, vendredi 10h30-20h, entrée 25 $ (22 €). Catalogue éd. MoMA, 352 p., 75 $ (68 €).

Légende photo
Marcel Broodthaers, Un Jardin en hiver, 1974, vue de l'installation au Museum of Modern Art, New York. © Photo : Martin Seck/MoMA.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : Marcel Broodthaers au MoMA de New York

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque