Mode

Art déco

Yiqing Yin, l’amazone et la rêveuse

Cinq ans après avoir obtenu son diplôme des Arts déco et créé sa maison, Yiqing Yin obtient l’appellation « haute couture »

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 16 février 2016 - 994 mots

PARIS

À 30 ans, la créatrice formée aux Arts déco est déjà entrée dans le monde de la haute couture. Explicitant sa vision de la création, elle dessine aussi le portrait de l’école de mode idéale.

PARIS - Le 26 janvier, Yiqing Yin, jeune créatrice de mode franco-chinoise, présentait « Blooming Ashes », sa première collection après la consécration suprême reçue en décembre 2015 : l’appellation « haute couture ». Celle-ci l’a fait entrer dans le cercle étroit de la dizaine de maisons d’exception telles que Dior, Chanel ou Valentino qui en bénéficient. Vitrine d’excellence, contribuant fortement à l’image des maisons, la haute couture est la pointe extrême d’un univers qui aujourd’hui pèse lourd. « Il y a trente ans, on assistait en France à l’émergence de “couturiers-créateurs”. Puis est venue la construction de grands groupes de luxe appuyés sur des savoir-faire uniques au monde », souligne Nathalie Dufour, directrice de l’Association nationale pour le développement des arts de la mode (Andam), dont le rôle est majeur pour fortifier la place de Paris comme capitale de la mode. « Et depuis cinq ans, la relève de la jeune création est française. » Dominique Jacomet, directeur de l’Institut français de la mode (IFM), rappelle pour sa part que, tout comme l’Italie, la France possède une industrie de la mode avec un écosystème complet, trop souvent sous-estimé (1) précisant qu’« aujourd’hui les entreprises françaises du luxe surclassent l’Italie ». Dans ce paysage aux tendances favorables mais soumis aux rudes contraintes de la mondialisation, Yiqing Yin est l’une des étoiles les plus prometteuses.

De l’École des Arts déco à la haute couture
En 2010, un an après avoir obtenu son diplôme de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (2), Yiqing Yin crée sa maison et se fait immédiatement connaître pour son art du pli décliné sur mousseline, organza ou fourrure, pour ses formes épurées et asymétriques. « J’ai commencé à penser “Blooming Ashes” en novembre dernier en m’interrogeant sur notre monde de violence. Comment renaître de ses cendres ? J’ai voulu une femme qui se recrée un corps, qui s’invente une armure molle avec les débris de la société, une femme victorieuse, une reine malgré le règne de la poussière dont elle est issue. » Femme magicienne caparaçonnée dans sa robe de fourrure travaillée comme une mosaïque et ornée d’écailles de cuir découpés au laser, elle devient femme chamane ceinte de bustiers de cuir tressés couleur de terre rouge et de harnais irisés faussement protecteurs. « Elle est l’amazone et la rêveuse… ».

Guerrière, Yiqing Yin avance vite dans un monde où la compétition est âpre. En 2010, elle remporte le Grand Prix de la création de la Ville de Paris, en 2011, le prix des Premières Collections de l’Anadam, et dès 2012, la voilà figurant en tant que membre invité au calendrier des défilés haute couture tandis que ses collections en prêt-à-porter sont distribuées dans le monde.

Née à Pékin et arrivée à l’âge de 4 ans en France avec ses parents après les événements de Tian’anmen, forte de sa double culture, elle se revendique avant tout nomade. « J’ai été obligée de beaucoup voyager dans mon enfance, j’étais sans cesse coupée de mes repères. Très jeune, j’ai compris que peu d’éléments sont porteurs d’identité. Dans mes vêtements, j’étais toujours chez moi. »

À l’École des Arts déco, où elle tombe amoureuse de la matière textile, la créatrice goûte « la formation protéiforme, son extraordinaire richesse, sa liberté », et avoue que son cours préféré était celui de l’histoire du cinéma. Sa réflexion autour du vêtement s’élabore. « Dans une société où règne l’interchangeable, le vêtement est un refuge, une façon d’asseoir sa singularité ainsi qu’un canal d’échange. Il permet tous les rêves. » Elle voit le vêtement comme une sculpture sur un support vivant, qui bouge, respire, se déplace, se transforme et transforme le vêtement. « Le vêtement est une capsule d’émotion et de mémoire de vie. » Sans cesse en quête, elle suivra aussi le programme IFM Label, qui aide des marques créatives existantes dans leur développement. « Génial ! », lance-t-elle avant d’ajouter : « L’école idéale serait celle qui réunirait les Arts déco, l’École de la chambre syndicale [de la couture parisienne] et l’IFM. Il faut connaître la technique pour pouvoir la détruire. Il faut aussi être capable de s’inscrire dans un marché. » Dans sa maison où passent de nombreuses jeunes pousses en stage, Yiqing Yin apprécie les fortes personnalités des Arts déco et celles de La Cambre, téméraires, très professionnelles. Les jeunes de la Central Saint Martins de Londres lui paraissent « plus formatés ».

Circulant entre les continents, la créatrice navigue aussi entre les territoires artistiques : « Je ne vois pas les frontières », dit-elle. Sa collaboration au ballet Tristan et Iseult créé à l’opéra de Florence (2015), sa sculpture en organza In Between présentée à la Biennale de Venise (2013), sa contribution à des films publicitaires avec Guerlain, Cartier, Swarovski, Lancôme… sont autant de respirations qui lui sont indispensables. À chaque fois Yiqing Yin se réinvente. Ses deux années de direction artistique de la maison Léonard (2014-2015) lui ont « beaucoup appris », mais elle décide d’y mettre fin pour se consacrer à sa propre ligne. « Le luxe, c’est aussi prendre le temps de réfléchir à ce que l’on est pour faire quelque chose d’exceptionnel si on peut, ou en tout cas de sincère. » L’avenir ? De nouvelles collaborations avec la Chine, la haute couture comme territoire d’expérimentation privilégié et, peut-être aussi, accomplir son rêve le plus fou : « Créer une école ! »  En adepte du taoïsme, Yiqing Yin cherchera la Voie dans le souci des équilibres et le perpétuel recommencement.

Notes

(1) La mode, au sens large, représente en France 500 000 emplois, 125 milliards de chiffre d’affaires dont 40 % à l’exportation. Sources : INSEE et IFM.

(2) diplôme inscrit dans la réforme LMD. Depuis 2012, il confère le grade de master.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Yiqing Yin, l’amazone et la rêveuse

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