Directeur du Cnap

Yves Robert : « Je refuse la logique de l'"outil guichet" »

Directeur du Cnap, Yves Robert présente ses orientations stratégiques à l’occasion de la mise en ligne des œuvres du Fnac.

Yves Robert a été nommé directeur général du Centre national des arts plastiques (Cnap) en septembre 2014. Un décret adopté en juillet 2015 a clarifié les statuts de cette structure et sa relative autonomie. Créé en 1982 et doté aujourd’hui d’un budget avoisinant les 10 millions d’euros, le Cnap a pour mission de promouvoir la création en France, au travers d’un système d’aides et de bourses, et d’administrer le Fonds national d’art contemporain (Fnac), qui recense en 2016 près de 100 000 œuvres d’art, acquises par l’État depuis 1791. Il est également le principal délégataire chargé de la commande publique.

Depuis le 19 février, la collection du Fnac est officiellement mise en ligne. Une base de données riche, depuis longtemps réclamée…
C’est un travail colossal. Nous administrons une collection riche et quasiment inexploitée par rapport au potentiel qu’elle constitue pour la recherche. Nous ne pouvions pas commencer à la légère : soit la reproduction est excellente, soit nous attendons qu'elle le soit pour la publier sur le site. Idem avec les notices qui seraient incomplètes. Ainsi, sur 97 000 numéros d’inventaire du fonds, 80 000 sont en ligne, mais seulement une moitié de manière complète. La modernisation prend du temps. Lors de mon premier conseil d’administration, j’ai fait voter un budget de numérisation des archives à hauteur de 300 000 euros ; c’est le début d’un autre grand chantier.

L’image du Cnap est paradoxale : alors qu’il est le principal instrument de l’État dans le soutien à la création, son rôle n’est pas toujours bien identifié, même chez les professionnels. Pourquoi ?
Le Cnap est une institution passionnante, un outil de politique culturelle au sens noble du terme. Il n’est en effet pas assez connu, sans doute parce que la diversité de ses missions n’aide pas à l’identifier clairement, aussi bien chez les professionnels qu’auprès du grand public, avec qui nous n’avons aucun contact : le Cnap ne possède aucun lieu d’exposition dédié. Pour clarifier notre image, je souhaite que le Cnap s’inscrive dans une logique de co-construction systématique. Nous devons être partenaire et prospectif, voilà ma philosophie. Le Cnap est un outil de volontarisme, un outil de projet efficace.

Concrètement, comment cette logique de partenariat va-t-elle se traduire, et quel en sera l'impact ?
Prenons deux exemples. Nous n’éditons pas de catalogue, nos moyens humains étant limités. Alors que le Cnap met en ligne le catalogue du Fnac, il serait contre-productif de se passer des notices que d’autres que nous (les galeries notamment) ont constituées. Plutôt que d’investir du temps et du personnel qualifié pour faire dans le meilleur des cas aussi bien, autant diffuser le travail existant en signalant l’apport de la galerie.
Dans un autre registre, je veux que nous soyons force de propositions à l'égard des musées qui nous accueillent. En associant en amont un de nos commissaires avec un conservateur local, comme nous le faisons à l’occasion de l’ouverture de l’extension du Musée de Serignan (Hérault) [où 140 œuvres du Fnac sont en dépôt, NDLR], l’exposition ne peut qu’y gagner. Je ne tiens pas à ce que le Cnap signe des expositions partout. En revanche, je voudrais qu’un commissaire issu du Cnap puisse cosigner chaque exposition à laquelle nous avons travaillé. Je refuse la logique de l’« outil guichet », où notre compétence n’est pas utilisée à plein.

Quel modèle avez-vous en tête ?
Il n’existe, à proprement parler, aucune institution comparable ailleurs, ni dans ses missions ni dans sa ligne. Certains pays (l’Argentine, la Belgique) ont une politique de commande publique dynamique mais souvent tournée vers la seule scène locale. Par ailleurs, des institutions développent différents mécanismes de soutien à la création, mais l’association des deux est unique au monde.

Vous parlez de « ligne », quelle est celle des acquisitions ?
La ligne du Cnap ne peut pas être celle du directeur. Il en existe une, celle d’une commission dont le renouvellement assure, de fait, la diversité du Fonds. D’après ses statuts, le Cnap doit « porter un regard sur la création contemporaine », sans distinction de provenance, de matériau, de courant intellectuel. Même si le Cnap veille à éviter les redondances entre les trois commissions d’achat [arts plastiques, photographie, arts décoratifs et design], ces dernières ne fonctionnent pas en vase clos et par champ exclusif.

Quelle est la place de l’international dans cette ligne ? La proportion d’œuvres achetées à des artistes étrangers varie beaucoup, frôlant la moitié (en 2012), ou tombant à 26 % (en 2014). Ne faudrait-il pas définir un « quota » ?
Pas nécessairement, si les membres de la commission connaissent la mission de l’institution. Il vaut mieux raisonner par courant, par influence : en acquérant des œuvres d’Ernest Breleur [un artiste martiniquais], nous ouvrons par exemple un univers du côté de la scène caribéenne, que nous avons trop peu valorisée jusqu’à aujourd’hui dans nos acquisitions. La question de la nationalité n’importe pas directement.

De la visibilité internationale des collections du Cnap pourrait aussi dépendre le rayonnement des artistes français. Or, de rapport en mission parlementaire, on ne parle que de déclin sur la scène mondiale. Que faire ?
Cette question n’est pas formellement présente dans ma lettre de mission. Pour autant, c’est un impératif. Témoin notre engagement dans les Années croisées (« France-Corée », et, à partir de décembre 2016, « France-Colombie »), ou notre politique d’aide aux galeries participant aux foires étrangères, aide conditionnée à la présentation de 50 % d’artistes français. Il en va de même pour la diffusion de nos collections, via le travail avec l’Institut français. Être prospectif, c’est aussi susciter des prêts ou concrétiser plus vite les opportunités. Récemment, nous avons acquis des pièces de Camille Henrot, de Tatiana Trouvé et de Laure Prouvost. Lorsqu’un commissaire chinois a évoqué son envie d’exposer ces trois artistes, le Cnap a saisi la balle au bond et prêté les pièces du Fnac. Elles seront visibles au Red Brick Art Museum de Pékin à partir de mai prochain.

À l’occasion du décret adopté en juillet 2015, vous souhaitiez que le Cnap puisse « acquérir une meilleure connaissance de son propre fonds, et redynamiser ainsi sa politique de dépôts ». Comment cela s’amorce-t-il ?
Nous avons initié de nombreux partenariats de recherche avec des universités. Prenez aussi l’exemple de la bourse curatoriale, dont l’enveloppe, de 30 000 euros – c’est modeste, mais on part de zéro –, a été votée lors du conseil d’administration qui a suivi le décret : un appel à projets international a vu le jour, en bonne et due forme, et permet à trois commissaires de travailler sur nos collections pour les mettre en valeur : il faut proposer, toujours.

Le Cnap a-t-il signé des conventions de « mécénat », comme il y est désormais autorisé par le décret ?
Cela commence. L’ADAGP nous a permis de mettre en œuvre le programme « Suites », qui présente dans des lieux montés par des artistes des œuvres dont la production a été aidée par le Cnap. Le Crédit agricole contribue à la coûteuse restauration du Cyclop de Tinguely (Milly-la-Forêt, Essonne).

Le conseil d’administration a été renouvelé. Vous avez souhaité inviter un élu local pour la première fois. Qui vient, comme vous, de Lyon…
Dans la majorité des cas, nos œuvres sont en dépôt dans des musées territoriaux. La présence d’élus me semble donc légitime. Pourquoi plus précisément Georges Képénékian [premier adjoint au maire de Lyon] ? Parce que le Fonds est très présent à Lyon : au Musée d’art contemporain, au Musée des beaux-arts, aux Confluences, à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne… De la même manière, nous avons remédié à l’absence d'artiste avec l’arrivée de Valérie Jouve.

La collection du Fonds national d’art contemporain (Fnac)

La base de données des œuvres du Fnac : www.cnap.fr

Légende Photo :
Yves Robert © Cnap

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Yves Robert : « Je refuse la logique de l'“outil guichet” »

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