Habitat

Design pour engins spatiaux

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 831 mots

Le jeune designer Octave de Gaulle imagine des objets du quotidien harmonieux et soumis à la gravité pour de possibles capsules spatiales.

BORDEAUX - Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas que des chaises dans la vie d’un designer et il peut ne pas être question de poids du tout. En témoigne l’exposition « Civiliser l’espace » signée Octave de Gaulle, au Musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux. Le designer, 28 ans, y exhibe une recherche originale tirée de son mémoire de diplôme, qu’il a décroché, début 2014, à l’École nationale supérieure de création industrielle à Paris. « L’espace reste comme une balise à travers les siècles. J’ai cherché à interroger le rapport de fascination que l’on a avec lui, explique Octave de Gaulle. Lorsqu’il y a absence de gravité, tout est à repenser. » À une époque où s’amorcent les premiers vols spatiaux civils, son questionnement est loin d’être illégitime. « Je ne fustige pas l’aventure spatiale, mais le temps est peut-être venu de la dissocier du domaine exclusivement militaire », estime le designer.

Le design sous apesanteur

Il est vrai que l’intérieur des fusées et autres engins spatiaux reste, aujourd’hui, tout ce qu’il y a de plus spartiate, les activités s’y déroulant dans un volume ô combien contraint. Pour Octave de Gaulle, l’objectif est « d’introduire dans l’espace le concept de convivialité si cher à notre société ». D’où ce projet qu’il déploie avec force détails : films, photographies ou dessins originaux – dont trois du designer Raymond Loewy sur l’habitacle de la capsule spatiale Skylab, commandité par la NASA –, propositions d’objets du quotidien et d’un aménagement intérieur grandeur nature destinés à être utilisés dans des conditions d’apesanteur. « Habituellement, observe Octave de Gaulle, les objets se présentent à nous sous une certaine forme et dans un certain sens. Ici, la disparition du poids a impliqué d’affronter un vrai problème d’ergonomie. » Ainsi, à bord d’un vaisseau spatial, un spationaute est-il en perpétuelle chute et sa vie rythmée par les sangles, les scratchs et autres bandes Velcro. Pour pouvoir engager quelque action, il n’a de cesse de devoir s’arrimer. Par ailleurs, il n’existe pas vraiment d’endroit dédié à la communauté. D’où cet aménagement intérieur un brin plus « douillet » et « davantage convivial », qui n’est pas sans rappeler des philosophies de conception globale des années 1970, comme le fameux Phantasy Landscape de Verner Panton et son mobilier intégré tout en mousse. L’utilisateur n’est plus fatalement obligé de se « sangler ». Il peut, au contraire, faufiler ses genoux sous une « table » et s’asseoir quasi confortablement dans une sorte de « canapé » moelleux. Cette « masse rembourrée » dissimule moult anfractuosités de toutes dimensions, dans lesquelles on peut glisser un livre, voire un instrument de musique – le spationaute français Jean-Pierre Haigneré, lors de son séjour de six mois sur la station Mir, avait, paraît-il, emporté son saxophone. « On a une vision très high-tech de l’espace, en fait, la réalité est plutôt low-tech, assure le designer. La tendance, aujourd’hui, est à un environnement carré, ultra-efficace. Or, certains astronautes m’ont indiqué qu’un tel environnement était très pénible à vivre au quotidien. » Aussi, le designer use-t-il davantage de courbes. D’astuces aussi, comme ce plateau de « table » doté de micro-aspirateurs qui permettent de maintenir stables les objets qu’on pose dessus.

Convivialité et préhension
Hormis cet aménagement intérieur, Octave de Gaulle a dessiné quelques objets : une lampe, un verre et une bouteille. Dans l’espace, la qualité majeure pour un objet est d’être facilement préhensible. Il est une forme qui, en apesanteur, s’avère facile à attraper : le tore. De cette figure, Octave de Gaulle a fait une lampe avec des diodes électroluminescentes imprimées, utilisable dans tous les sens, « le sol pouvant à tout moment devenir le plafond », selon de Gaulle. Fidèle à sa théorie de la convivialité, le designer a donc également conçu un verre et une bouteille (de vin). De prime abord, vus de notre atmosphère avec gravité, les deux objets ont l’air loufoques. Le premier ressemble à une pince de laboratoire, l’ustensile servant à « accrocher » la goutte de liquide pour pouvoir le porter à sa bouche – ceux qui ont lu On a marché sur la Lune de Hergé se souviendront de la difficulté du capitaine Haddock pour boire son whisky en apesanteur. Le second, la bouteille, est aussi une variation du « tore », non pas en verre, strictement interdit, mais en polycarbonate. Le spationaute français Jean-François Clervoy a testé ces deux créations lors d’un vol orbital, en juin dernier, comme le montre une vidéo.

À travers sa vision un peu utopiste, Octave de Gaulle défriche néanmoins quelques enjeux de l’habitat spatial civil de demain. Projeté au cœur de l’exposition, un film documentaire récapitule l’ensemble de son projet.

Octave De Gaulle

Commissaire de l’exposition : Constance Rubini, directrice du Musée des arts décoratifs et du design
Scénographie : Octave de Gaulle

Octave De Gaulle, Civiliser l’espace

Jusqu’au 10 avril, au Musée des arts décoratifs et du design, 39, rue Bouffard, 33000 Bordeaux, 05 56 10 14 00 ou www.mairie-bordeaux.fr., lundi et mercredi-vendredi 11h-18h, samedi-dimanche 14h-18h, entrée 5 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Design pour engins spatiaux

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