In situ

La Chine, pays des usines à art

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 555 mots

Des ateliers hors-normes permettent de « produire de l’art », conférant à l’artiste des allures de « business man ».

PÉKIN, SHANGHAï - Des artistes européens en milieu de carrière et à la convenable renommée pourraient fort bien être installés dans de tels ateliers d’une centaine de mètres carrés, aux volumes confortables sans être immenses. Hao Liang et Xu Qu, respectivement 33 ans et 37 ans, en occupent chacun deux à Pékin. L’un est installé dans le quartier de musées et de galeries de Caochangdi et l’autre à Black Bridge, zone populaire et plus éloignée où beaucoup d’artistes ont leurs ateliers. Des conditions de travail bien confortables donc, et pourtant ils font partie de la jeune génération et n’ont encore qu’une notoriété relative.

À la visite des ateliers chinois, l’impression d’une capacité de production démesurée est frappante qui flirte parfois avec le « no limit », ou plutôt avec pour seule limite la volonté de l’artiste. À l’autre bout du spectre de la reconnaissance, certains s’ébrouent dans des lieux gigantesques, de véritables usines à art. Ainsi de Zhang Huan et de Xu Zhen à Shanghaï. Le premier, de retour en Chine il y a huit ans après avoir vécu aux États-Unis, a élu domicile sur un ancien site industriel, sorte de petit village cerné par la nature dont on ne semble jamais pouvoir parvenir à faire le tour.

Goût de la démesure
L’ensemble est si vaste que si d’anciens locaux de production, aux échelles colossales, sont utilisés pour la confection des œuvres, plusieurs entrepôts servent seulement à exposer les différentes séries à l’œuvre aux visiteurs de passage, comme dans un musée privé. En fonction des périodes et des nécessités, ce sont entre cent et trois cents personnes qui s’activent là. Fondateur de MadeIn Company en 2009, afin d’ancrer son travail dans une perspective entrepreneuriale et de gérer une grande équipe également, Xu Zhen est, lui, installé sur un site d’entrepôts couvrant 5 000 mètres carrés, dont 4 000 sont consacrés à la production. Entre trente et quarante assistants sont à l’œuvre, lorsqu’une vingtaine d’autres officient dans les bureaux, pour l’administration ou la recherche ; des bureaux couverts par… cinq réseaux wi-fi !

Installé lui aussi, depuis dix ans, dans le quartier de Black Bridge à Pékin, Liu Wei est également à la tête d’un studio considérablement étendu regroupant plusieurs entrepôts. La visite est édifiante, laissant voir comment se côtoient l’usage de l’outil informatique, pour la conception de ses peintures en particulier, et l’artisanat le plus traditionnel, avec des petites mains qui s’affairent sur les pièces nécessaires aux installations. Devenu « businessman » l’artiste assume cette réalité tout en assurant qu’il est contre : « dire que le capital gouverne le monde est un mensonge », assène-t-il, sans peur du paradoxe.

Même Cao Fei, dont le travail est essentiellement vidéographique et ne nécessite pas des espaces considérables, s’est installée dans un espace singulier : un ancien théâtre pékinois des années 1960 promis, comme tout le quartier alentour, à une démolition prochaine. En attendant elle l’a restauré avec passion afin d’en conserver l’atmosphère originale, trouvant dans les souvenirs que lui évoquent les lieux des inspirations lui permettant de cerner le présent et d’anticiper le futur.

Autant de conditions de productions spectaculaires qui, pour bien des artistes hors de Chine, paraîtraient hors-norme alors qu’elles sont ici… la norme.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : La Chine, pays des usines à art

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