Paroles d’artiste

Denis Savary : « Saisir la résurgence d’une forme historique »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 677 mots

Au Centre culturel Suisse ainsi qu’à la galerie Xippas, à Paris, Denis Savary construit des environnements en référence au paysage et qui bouleversent la perception temporelle.

Votre travail fait montre d’un intérêt récurrent pour l’architecture ou, en tout cas, pour le motif architectural. L’abordez-vous plutôt en tant qu’espace ou en tant qu’image ?
C’est probablement plus quelque chose lié à l’image. J’ai peine à savoir si ce qui est présenté dans ces expositions relève réellement d’un intérêt pour l’architecture ou alors plutôt pour le cinéma, car il n’est jamais vraiment directement question d’architecture. Il y a toujours un changement d’échelle, comme dans la maquette de cuisine explosée et un peu atomisée suspendue à des chaînes (Cuisine 2, 2016). Quant à l’installation Loggia (2016) [consistant en des matelas à la forme retravaillée disposés le long des murs], on est dans un rapport de proportions qui est faux également, puisque l’ensemble est inspiré par une photographie du temple d’Héra [à Paestum, en Italie]. On voit donc, là encore, que mon rapport à l’architecture vient plutôt de l’image. Ce que j’en ai repris ce sont les vides entre les colonnes qui, pour moi, vont dessiner un torse, une figure sans tête. Tout comme chez Xippas les moulages thermoformés au motif d’une maison (Weekend, 2015) évoquent aussi un masque, comme un visage comique qui sourit. Il y a donc là-dedans un rapport à la figure dans l’architecture. De là découle aussi l’idée d’une articulation, c’est-à-dire que les matelas sont comme une architecture qui se déploie en creux dans un espace et qui pourrait être condensée, empilée.

Cette perception de l’architecture dérive-t-elle par conséquent vers l’idée de paysage ?
Je parlais de cinéma et je crois que, plus que l’architecture, ce qui m’intéresse est davantage la question du paysage. Le paysage et la comédie sont des problématiques sur lesquelles j’ai voulu axer cette exposition, même s’il y a des entrées évidentes et apparentes sur la question de l’architecture. Les chaînes suspendues de la Cuisine font référence à La Maison sur la Cascade de Frank Lloyd Wright, ce qui m’évoque la météorologie. D’autant plus que l’exposition s’intitule « Jour blanc ». Il y avait un peu l’idée que des chaînes évoqueraient une cascade ou de la pluie, et qu’une architecture atomisée apparaîtrait un peu à l’image d’un arc-en-ciel. Il y a quelque chose de l’ordre du paysage.

Travaillez-vous aussi avec en tête l’idée du factice, d’un rapport au réel altéré par la question de l’image qui glisse vers le factice, comme avec ces deux fontaines au centre de la salle (Trévise, 2012) ?

En effet les fontaines sont fausses, c’est une sorte de résine qui évoque la fausse pierre et ça se voit. C’est peut-être là où la question du théâtre m’intéresse, dans un rapport au maquillage peut-être, l’idée d’une œuvre qui serait maquillée et de manière apparente. Il y aurait donc une sorte de confrontation entre ces questions de représentation et en même temps la réalité un peu physique et plastique de la pièce. Peut-être ces problématiques du faux renvoient-elles à des questions de décor également ?

La contingence temporelle est-elle pour vous une question importante, dans la mesure où vous mélangez des œuvres ayant des aspects très différents en faisant appel à l’Antiquité grecque ou aux fontaines de la Villa d’Este ? Mélanger des époques et des styles est-il une manière d’insister là-dessus ?
Je crois que ce qui me plaît en allant chercher ces motifs dans l’histoire des formes, c’est plutôt l’évolution de ces mêmes formes. Lorsque je travaille sur une forme, la relation entre la figure ou l’échelle d’un corps humain et quelque chose qui aurait une sorte de fonction ou d’utilité, j’ai l’impression que ces choses-là traversent. Évidemment il y a des points d’ancrage assez précis, notamment dans les références chronologiques, mais en même temps ce qui m’intéresse c’est cette traversée-là, c’est voir comment une forme se trouve altérée ou manipulée dans un contexte donné, et comment s’opère subitement une sorte de résurgence de cette forme historique ; il y a quelque chose de l’ordre de la réminiscence des formes.

Denis Savary. Jour Blanc
Jusqu’au 3 avril, Centre culturel suisse, 32-38, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 44 50, www.ccsparis.com, tlj sauf lundi 13h-19h.

Denis Savary
Jusqu’au 5 mars, Galerie Xippas, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris, tél. 01 40 27 05 55, www.xippas.com, tlj sauf dimanche-lundi 10h-13h et 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Denis Savary : « Saisir la résurgence d’une forme historique »

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