École d'art

École privée

L’Icart vire de bord en pleine houle

PARIS

Nouveau directeur, communication dopée : la stratégie du nouvel actionnaire, un fonds d’investissement, vise à rattraper son retard, au prix d’un rude débat interne.

PARIS - Nicolas Laugero Lasserre a pris ses fonctions de directeur des études à l’Institut supérieur des carrières artistiques (Icart) le 23 novembre 2015. À tout juste 40 ans, il rend une décennie à l’école fondée en 1963. Il n’y a pas étudié, mais y a enseigné au début des années 2000. Ni philosophe ni historien de l’art, il n’est pas un pur produit de la méthode de Denis Huisman, comme s’en réclamait son prédécesseur. C’est là que le bât blesse pour certains. D’autres considèrent son arrivée comme une bénédiction pour une école en perte de vitesse. Alors que plus de 30 % des personnels viennent d’être renouvelés en un an : plus qu’une crise de la cinquantaine, l’Icart connaît une révolution depuis le rachat de l’école en 2014 par un fonds d’investissement .

Nouvelle stratégie commerciale et de communication
Pour comprendre les changements en cours à « l’école du management de la culture et du marché de l’art », telle que l’Icart se définit sur son site Internet, il faut revenir à la figure tutélaire. Créateur de l’Efap (école des nouveaux métiers de la communication) en 1961, de l’Icart puis de l’Icart Photo en 1984, Denis Huisman est enseignant et entrepreneur de l’éducation. Il est auteur de manuels à succès dans les domaines de la philosophie et de l’esthétique. Il incarne pour les anciens de l’école un certain humanisme dans l’enseignement. Ses formations sont marquées par une pluridisciplinarité avant-gardiste dans le Paris des années 1960, touchant à : l’histoire de l’art et la communication, la culture comme outil commercial. S’il reste, à 86 ans, le président du conseil de surveillance de son groupe, les nouveaux actionnaires marquent aujourd’hui l’Icart de leur empreinte en remplaçant Pierre Corcos, âgé de 67 ans et directeur des études depuis 1987, par Nicolas Laugero.

« Sa nomination est logique, dans les tuyaux depuis le changement d’actionnaires, avance Pierre Corcos. Elle répond à la nouvelle stratégie commerciale et de communication. » De fait, le budget communication du Groupe EDH, qui regroupe l’Efap, l’Icart et l’École française de journalisme, a été multiplié par cinq en un an. C’est sans amertume mais avec nostalgie que l’ancien directeur ajoute : « C’est d’une grande banalité : avec le changement de génération, c’est une culture d’entreprise qui s’en va. On m’a dit que ce serait bien d’avoir un directeur plus vendeur, voilà… »

Lorsque le fonds Platina Equity Solutions rachète le groupe EDH en 2014, son dirigeant, Amin Khiari, prend rapidement deux décisions : la fermeture de l’école de management EMP, dont les enseignements principaux sont reversés dans le cursus de l’Efap, et celle de l’Icart Photo. « Il faut choisir ses combats », déclare alors à un site spécialisé le nouveau patron, qui a longtemps dirigé le pôle universitaire Léonard-de-Vinci dans les Hauts-de-Seine. Il rencontre Nicolas Laugero au printemps dernier, alors que celui-ci dirige encore l’Espace Pierre Cardin. Les affinités sont immédiates entre les deux jeunes entrepreneurs. Le premier embauche le second, qui prend ses fonctions six mois plus tard.

Objectif de professionnalisation
Nouvelle communication, nouveaux directeurs dans les écoles du groupe, le renouvellement est partout, y compris chez les professeurs. Nicolas Laugero affirme que « le projet académique ne bougera pas d’un iota ». Difficile de le croire, à entendre les anciens étudiants qui reprennent le débat sur l’âme « huismanienne » de l’école. Ainsi, pour un diplômé de la promotion 2015, « on apprend à faire de l’argent avec l’art, mais on a un peu laissé l’art de côté ». Tandis qu’un autre réplique : « Vu la qualité de certains des enseignements abandonnés, le changement ne peut être que bénéfique. » Tous s’accordent néanmoins sur un point : l’objectif de professionnalisation mis en avant par l’Icart. « Si on paie une école privée dix fois plus cher qu’une université, c’est pour avoir la certitude d’une intégration professionnelle. Le service des stages doit être un véritable “coaching” », prévient le directeur. Il y a en effet urgence : d’après le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), l’Icart est la seule école, parmi ses concurrentes directes (l’IESA et le groupe EAC), dont les MBA (« Master of Business Administration ») n’ont pas reçu l’équivalence de niveau II (lire le JdA no 436, 22 mai 2015). « Une aberration, et notre priorité absolue cette année », avance Nicolas Laugero, en brandissant le dossier déposé au RNCP pour une inscription accélérée. Une récente diplômée confirme les lacunes à corriger : « Durant mes trois années passées à l’école, j’ai connu plusieurs responsables des stages, qui n’avaient ni le temps ni le réseau pour être réellement utiles. On a surtout besoin de stabilité. Or Nicolas Laugero a lancé plusieurs carrières d’anciens élèves, du temps où il enseignait ici. Il est jeune mais crédible. »

Esprit entrepreneur
Cette crédibilité, Nicolas Laugero estime la devoir à une pluridisciplinarité dans son parcours personnel, en écho à celle promue par l’Icart. Spécialiste de l’art urbain, fondateur du site Artistik Rezo, directeur d’un lieu culturel à la programmation très large, Nicolas Laugero dirige également l’Association des directeurs et producteurs de théâtres privés. Il est aussi celui qui a lancé, dans les années 2000 à l’Icart, les premiers projets collectifs « en situation » qui consistent, autour du montage d’une exposition, à trouver les fonds, inviter le grand public, communiquer. Il veut retrouver cet esprit entrepreneur, lui qui juge l’ambiance étonnamment apathique dans les salles de cours.
Nicolas Laugero fait évoluer aujourd’hui son projet pédagogique, souhaite abandonner les deux « bachelors » très généralistes : « À 18 ans, on sait rarement avec précision ce qu’on veut faire. » Il va en revanche introduire plus de spécialisation au sein des deux MBA (« médiation culturelle » et « marché de l’art »). Une option sera notamment axée sur l’art urbain, jouant sur un phénomène de mode vendeur autant que sur l’important réseau dont il dispose en la matière. Cette nouvelle orientation doit aider l’Icart à retrouver un certain esprit avant-gardiste. Quand on suggère qu’institutionnaliser l’art urbain dans une école privée du 8e arrondissement peut sembler paradoxal, la réponse fuse : « Évitons le purisme hypocrite : le “street artiste” dont la carrière a explosé en dix ans, pensez-vous qu’il soit triste d’être pensionnaire à la Villa Médicis et qu’il aurait préféré rester manutentionnaire chez Carrefour ? » On retrouve souvent dans la conversation son goût de la bonne formule, sans doute issu de son passage par le Cours Florent. L’ancien comédien sait aussi que, dans ce marché post-bac très concurrentiel, le déficit d’image doit être comblé. Il a relancé la communication en inscrivant l’école à plusieurs salons étudiants, désertés depuis des années.
À l’évocation des changements nombreux, parfois brutaux, qui sont à l’œuvre au sein de l’école, Nicolas Laugero invoque d’abord une nécessité d’ordre structurel : « Nous vivons simplement le passage d’un groupe familial à un groupe actionnarial, à qui je dois des “reportings” et des résultats ». Et, comme pour s’excuser, sur la forme, de son dynamisme à marche forcée : « L’état de grâce ne dure jamais bien longtemps. Avant d’expérimenter les blocages, il faut profiter des premières semaines pour exprimer toutes ses idées. » La rentrée de septembre 2016 donnera déjà une première indication sur leur impact.

Légende photo

Etudiants suivant les cours de l'ICART. © ICART.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : L’Icart vire de bord en pleine houle

Tous les articles dans Campus

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque