Le service civique va-t-il entrer au musée ?

Service civique, les réticences des institutions culturelles

François Hollande souhaite que le service civique accueille 350 000 jeunes par an d’ici trois ans. Si le ministère de la Culture a créé 6 000 missions en 2015, il le doit essentiellement au secteur socioculturel. Les grandes institutions peinent à faire une place à ces jeunes, coincés entre les offres de stages qui s’adressent à un public plus qualifié et les emplois aidés.

En dépit d’objectifs statistiques atteints en 2015, le service civique peine à entrer dans les grands musées. Le dispositif trouve difficilement sa place à côté de celui des stages ou des emplois aidés.

Avec 6 200 missions dénombrées en 2015 par l’Agence du service civique, le programme « Citoyens de la culture » est l’un des rares à avoir rempli ses objectifs chiffrés. À l’heure où la généralisation du service civique a été de nouveau demandée par le président François Hollande lors de ses vœux à la jeunesse, le partenariat entre les services de la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, et de Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a légèrement dépassé le cap des 6 000 missions fixées le 21 mai 2105, lors de la présentation du dispositif au Centre Pompidou. Reste à en signer 10 000 nouvelles en 2016.

Comme dans les autres secteurs concernés, cette convention impose un cadre à toutes les structures qui postulent pour obtenir l’agrément : avoir « un tuteur référent identifié et formé aux spécificités du service civique » ; affecter les jeunes choisis « au service direct de la population » et prioritairement « à son contact » ; enfin, confier 25 % des missions « à des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville ». Derrière le succès statistique quantitatif, il faut donc regarder la réalité qualitative des missions effectuées.

Selon les observations du ministère de la Culture, dans le domaine des beaux-arts, les missions observées consistent essentiellement à « participer à l’animation de chantiers de bénévoles pour la sauvegarde du patrimoine, à l’accueil du public sur un monument historique, et à des activités pédagogiques avec des classes ». L’observation approfondie révèle un distinguo important entre les pratiques du tissu associatif local et celles des grandes institutions culturelles.

Animateurs socioculturels

Dans le secteur associatif socioculturel, le dispositif est plébiscité. Environ 75 % des services civiques en émanent. Ils promeuvent notamment la lecture dans les milieux défavorisés et l’insertion par la pratique artistique. En lien avec les collectivités territoriales, la Ligue de l’enseignement et ses antennes locales sont les principaux pourvoyeurs de conventions dans la catégorie « culture et loisir ». Ce succès est logique. D’abord, des animateurs motivés sont toujours bienvenus. Ensuite, avec la gratification des stages devenue obligatoire au-delà d’une durée de deux mois (à hauteur de 554 euros en moyenne par mois pour un temps plein), les petites structures peinent à recruter des profils qualifiés, même sans expérience, sans alourdir leurs charges. Or, dans le cadre d’un service civique, l’État prend en charge, sur une durée de six à douze mois, 467,34 euros sur le montant de la rémunération mensuelle, la structure d’accueil ne prenant à sa charge que les 106,31 euros d’allocation minimum et les éventuels avantages en nature (repas, transport). Ceci contribue à expliquer un très bon démarrage, et une moyenne de quatre candidats postulant pour chaque mission début 2015.

Côté contenu, les missions respectent en majorité les exigences de la convention. Certes, on trouve çà et là des fiches de poste trop administratives (suivi de l’agenda du président, classement du courrier…), qui apparaissent comme une copie évidente d’une offre de stage précédemment publiée. Le phénomène reste minoritaire, mais il montre toute la difficulté, pour l’agence, de contrôler localement les annonces et les missions effectuées une fois l’agrément accordé.

Effets de substitution
Pour estimer la réalité de l’effet de substitution, la consultation statistique d’un portail comme celui de « profilculture.com » est éclairante. Le site, un des principaux pourvoyeurs d’emplois et de stages du secteur, permet de trier les annonces selon les types de contrat : CDD, CDI, free-lance, fonction publique et territoriale, offre de stages et services civiques. Si l’offre de ces derniers a grimpé de 57 % en 2015, les offres de stages en médiation ont crû moins vite (4 %) que toutes les autres formes d’emploi (16 % en moyenne). Selon Yves Paumelle, directeur du site, « le service civique n’a aucun impact sur les CDD ou CDI. En revanche, on peut penser qu’il existe un effet de substitution avec les stages, même s’il est difficile d’en calculer l’ampleur ». Cette substitution partielle ne remet pas en cause le bien-fondé du dispositif, mais souligne l’effet d’aubaine qu’il engendre. Notons enfin que la forte proportion d’annonces publiées sur des sites spécialisés comme profilculture.com montre que le recrutement se fait aussi sur des canaux empruntés par des jeunes connaissant les codes du secteur : toutes les institutions ne chamboulent pas leurs habitudes de recrutement malgré une plus grande diversité de profils exigée.

Le journal Le Monde citait le 11 janvier un rapport de la Cour des comptes, notant que le service civique n’atteint que « partiellement » sa mission de mixité sociale : « les volontaires sont moins de 25 % à ne pas avoir le bac (l’objectif était d’un tiers), seulement 18 % sont issus des “quartiers” (25 % étaient visés) et seuls 0,4 % handicapés (alors que le contrat préconisait 6 %) ». À titre d’exemple, le Centre Pompidou, institution pionnière dans l’adoption du dispositif, a créé depuis 2011 cinq postes de services civiques à temps plein. « Dans un esprit à la fois expérimental et citoyen », ils sont employés à tous les types de médiation proposés en direction des publics empêchés ou éloignés. Une quarantaine de jeunes sont ainsi passés par Beaubourg depuis bientôt cinq ans. Parmi les volontaires actuels, trois ont un diplôme équivalant à une licence en médiation ou en gestion de projet culturel, deux sont entrés directement en post-bac. Aucun ne vient d’un quartier « prioritaire de la politique de la ville ». Certes, une photographie ponctuelle, sur cinq postes, ne suffit pas à tirer de généralité. À l’Opéra de Paris ou au Palais de la porte Dorée, les profils sont un peu plus diversifiés. Mais force est de constater que la médiation, traditionnellement, est réalisée par des profils variant de bac 3 à bac 5. La question de la qualification explique la frilosité des grandes institutions, dans lesquelles les services civiques restent rares. On y compte souvent plus de dix candidats pour une mission. Au Louvre, on a prévu d’intégrer deux volontaires seulement en 2016, après une demande d’agrément déposée en novembre 2015. Au Musée d’Orsay et au Palais de Tokyo, pas de date ni d’objectif chiffré.

Limites du dispositif
L’établissement public Paris Musées administre notamment le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, dont l’équipe vouée aux structures œuvrant dans le « champ social » (insertion, prévention, politique de la ville, de l’alphabétisation…) est reconnue pour la qualité de ses actions. Celle-ci fonctionne aujourd’hui avec une vingtaine de contrats uniques d’insertion ou contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE). Ces contrats aidés, fréquents dans les équipes de médiation, sont plus intéressants pour les deux parties : l’employeur pérennise des profils mieux formés, sur deux ans, à l’un des cœurs de métiers du musée ; et l’employé, sans limite d’âge, ne peut toucher moins que le smic. Delphine Lévy, la directrice de Paris Musées, rappelle que « grâce aux vingt CUI-CAE, 10 000 personnes sont accueillies chaque année au titre du champ social ». Si elle prévoit d’intégrer aussi des services civiques en 2016, elle les imagine intervenir plutôt auprès de publics plus captifs, « déjà présents au musée ». À effectif d’encadrement constant, on comprend donc que, pour la médiation, l’action vers les publics éloignés a atteint un plafond et que l’utilité marginale du service civique supplémentaire sera faible. Son positionnement dans les grandes institutions doit donc être affiné.

Dans le secteur associatif, au-delà des effets d’aubaine, il existe une volonté forte qui a permis un premier succès quantitatif. Mais pour atteindre les objectifs qualitatifs annoncés autant que l’augmentation souhaitée, l’État aura besoin du caractère moteur des grandes institutions.

Légende photo

La médiation est l'une des principales missions d'affectation des services civiques. Ici, visite guidée au musée des beaux-arts de Lyon. © Photo : Alain Basset/MBA Lyon.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Service civique, les réticences des institutions culturelles

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