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Fréquentation à Paris

Les attentats n’expliquent pas seuls la baisse de fréquentation des musées parisiens

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2016 - 1104 mots

PARIS

Une tendance de fond à la baisse et une programmation moins « séduisante » sont également à l’origine de la diminution de fréquentation dans les grands établissements parisiens.

PARIS - Les communiqués se succèdent pour annoncer des baisses de fréquentation en 2015 en invoquant les effets des attentats de novembre à Paris, dépeignant un tableau qui n’est pas nécessairement le reflet de la réalité. Les 600 000 visiteurs « perdus » par le Louvre ont marqué les esprits et imposé une lecture univoque des chiffres de la fréquentation à Paris. Il est vrai que les 13 % de visiteurs en moins pour le Musée du quai Branly ou le Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge n’ont pu que renforcer cette impression. Pourtant la simple lecture du tableau de fréquentation (voir ci-dessous) montre que la baisse n’est pas de même ampleur partout. Lorsque le Centre Pompidou enregistre 11,3 % de visiteurs en moins, le Musée d’Orsay n’affiche qu’une petite baisse de 1,71 % – pour prendre deux institutions comparables par leur niveau de réputation.

Un indéniable « effet attentats »
Certes les touristes étrangers ont annulé en masse leur séjour à Paris. Alors que Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, annonçait fièrement le 20 août dernier que la « France se dirige vers un nouveau record mondial de touristes en 2015 », et que l’Insee indiquait un taux de fréquentation touristique en hausse de 3 % en nombre de nuitées pour le troisième trimestre, les attentats ont anéanti les espoirs de record. Ainsi, un musée comme le Louvre, dont 70 % des visiteurs sont des touristes, ne peut qu’être touché par la chute de l’activité touristique en fin d’année (les chiffres seront connus dans quelques semaines seulement). De même, le Quai Branly, dont la fréquentation est composée à 15 % d’élèves, a été pénalisé d’abord par les interdictions puis les contraintes pesant sur les sorties scolaires. En revanche, les entrées au cinéma, moins dépendantes de la fréquentation touristique, ont augmenté de 1,2 % en novembre et de 13 % en décembre (suivant ici l’« effet Star Wars »).

Cependant, dans le même temps, les chiffres de sites pourtant très touristiques comme l’Arc de Triomphe ou le Panthéon sont quasi stables. Même le château de Versailles, lieu privilégié des tour-opérateurs, affiche une baisse moindre : – 4 % seulement. Quant à la forte chute des visiteurs de la Sainte-Chapelle et de la Conciergerie (qui profite du billet couplé avec la Sainte-Chapelle), elle pourrait s’expliquer par les désagréments, accrus par le plan Vigipirate, d’un accès commun entre la Sainte-Chapelle et le Palais de justice.

Il serait donc excessif d’attribuer aux attaques terroristes l’intégralité de la baisse de nombre des visiteurs en région parisienne. Rappelons que la grande vague de croissance du public au cours de la décennie 2000 commence à perdre de la vigueur depuis quelques années. Si l’on examine la situation des quatre grands musées parisiens – qui accueillent près de la moitié des visiteurs recensés dans toute la France ! – , on constate que leur fréquentation globale baisse ou stagne depuis deux ans. Or, en excluant les attentats de janvier 2015 qui ont eu un faible impact sur le tourisme, ceux survenus à l’automne ont eu des répercussions à partir de la mi-novembre, soit en saison basse.

Une programmation moins événementielle
Quelle aurait été la fréquentation globale sans les attentats ? Sans doute pas fameuse à en juger par les chiffres de fréquentation des expositions, notamment celles du deuxième semestre, moins événementielles et plus savantes. Au Grand Palais, « Élisabeth Louise Vigée Lebrun » (23 sept. 2015-11 janv. 2016, 2 400 visiteurs/jour) et « Picasso.mania » (7 oct. 2015-29 fév. 2016, 3 800 visiteurs/jour) ont moins séduit que « Niki de Saint Phalle » en 2014 (plus de 500 000 visiteurs) et « Georges Braque » en 2013 (4 700 visiteurs/jour). Le Louvre semble avoir décidé de réserver sa programmation à une élite, oubliant les grandes rétrospectives « populaires » (à l’exemple d’« Ingres » en 2006) au profit du « Maroc médiéval » (oct. 2014-janv. 2015) ou d’une exposition inspirée par un ouvrage de Jacques Attali (« Une brève histoire de l’avenir », 24 sept. 2015-4 janv. 2016).
Le cas d’Orsay est instructif, c’est la seule des grandes institutions à ne pas baisser fortement. Or le musée programmait une exposition pour le moins grand public, sur la prostitution (« Splendeurs et misères », 22 sept. 2015-17 janv. 2016).

La situation du Centre Pompidou est tout autre. La chute de sa fréquentation en 2015 fait suite à une dimininution de 8 % en 2014, de sorte que le Centre a perdu plus de 18 % de son public en deux ans. Or, dans le même temps, ses « concurrents » en art moderne et contemporain ont, eux, vu leur nombre de visiteurs fortement augmenter. Les entrées dans les expositions du Palais de Tokyo ont fait un bond de plus de 13 %, la Fondation Vuitton (ouverte fin 2014) a franchi la barre du million de visiteurs et le Musée Picasso, fermé pendant cinq ans, a attiré 750 000 visiteurs en 2015 (il en accueillait 470 000 en 2007). Le Centre Pompidou va devoir s’interroger sur son positionnement. Un signe, aucun de ses événements ne figure dans le « Grand Tour » (1), la liste des 43 manifestations programmées en France en 2016 que le Quai d’Orsay veut promouvoir à l’étranger. Il lui reste quelques jours pour s’inscrire à la première « Nuit des idées », « créée à l’initiative de Laurent Fabius ».

Quel crédit accorder aux chiffres ?

Si la qualité des informations disponibles a nettement progressé en vingt ans, celles-ci restent cependant toujours imparfaites pour rendre compte de la réalité. Chaque musée mélange allégrement visiteurs et visites, gratuits et payants, dans les murs et hors les murs, intérieurs et jardins, rendant d’autant plus difficile la comparaison des données. Le périmètre ne cesse aussi de changer d’une année sur l’autre, les fermetures pour travaux alternant dans un rythme soutenu avec réouvertures ou créations de musée.
Par ailleurs, l’affluence dans les musées, indéniable, se heurte aux analyses du ministère de la Culture (lire pages 6-7) qui montrent une stagnation de la fréquentation des musées par les Français (âgés de de 15 ans et plus), laquelle est passée de 33 % en 1973 à seulement 37 % en 2008 après un pic à 40 % en 1997. Que faut-il en penser ? Une explication plausible de la hausse de la fréquentation est que celle-ci reposerait sur les jeunes, les touristes et une fréquence de visite plus élevée pour les publics habituels.

Légende photo

La cour Napoléon du Musée du Louvre © Photo Benh LIEU SONG - 2010 - Licence CC BY-SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Les attentats n’expliquent pas seuls la baisse de fréquentation des musées parisiens

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