Design

La création belge et néerlandaise face à face

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2016 - 728 mots

Le Design Museum souligne, non sans quelques maladresses, les particularités
de la création parfois très éloignées des deux pays voisins.

GAND - La littéralité, en scénographie, n’est pas toujours gage de réussite, au contraire. Pour  preuve, cette exposition intitulée « Design Derby, Belgique-Pays-Bas, 1815-2015 », déployée dans l’aile récente du Musée du design de Gand, en Belgique, mettant en regard les productions néerlandaise et belge. En tout : quelque 500 pièces – mobilier, objet, luminaire, tapis, graphisme, mode… – datant des deux derniers siècles. Le vocable anglo-saxon « derby » désignant habituellement un « match entre équipes voisines », des paravents aux couleurs des deux contrées ont été disposés autour des pièces, histoire d’en spécifier visuellement leur provenance. Le dispositif est tout sauf élégant. Fallait-il à ce point filer la métaphore sportive ? Heureusement, le visiteur a échappé à la pelouse synthétique. Ainsi pourra-t-il davantage se concentrer sur les œuvres montrées dont nombre sont intéressantes, comme cette horloge de parquet conçue par le Néerlandais Christiaan Wegerif ou ce plateau à fromage aérodynamique signé du Belge Charles Graffart. Principe oblige, les tandems sont évidemment légion et confrontent en miroir les esthétiques respectives des deux pays, comparaisons permettant de relever moult similitudes et/ou différences.

Des identités marquées
Le sous-sol est livré à la partie historique de l’exposition – XIXe siècle –, avec notamment des pièces réalisées par des industries « émergentes » comme le verre ou la céramique, dont cet étonnant pot de chambre hollandais en terre cuite émaillée et au décor incisé, dit « pot à sept anses », lesquelles permettaient  d’éviter de le rater dans le noir. Il est étonnant de voir comment les dissemblances peuvent être profondes de part et d’autre de la frontière. En particulier, dans la dernière décennie de ce XIXe siècle, lorsque la jeune Belgique – son indépendance du royaume uni des Pays-Bas, lui-même créé en 1815, ne date que de 1830 – affiche un style franchement innovant, l’Art nouveau, et des créateurs hors normes, tels Henry van de Velde, Paul Hankar ou Victor Horta, contre lesquels se dressent farouchement les Néerlandais, qui estiment leur style comme étant le seul authentique à l’inverse de l’esthétique belge, jugée licencieuse. On retrouve, côte à côte, deux protagonistes de cette « guerre des styles » : Henry van de Velde avec un fauteuil délicatement courbé dessiné pour la villa Bloemenwerf, à Bruxelles, et le Néerlandais Hendrik Petrus Berlage – pour qui l’Art nouveau belge usait de « matériaux trop luxueux » –, avec un fauteuil pour dame, un brin plus rustique. La modernité se chargera d’aplanir le différend. Ainsi, les architectes belge Gaston Eysselinck et néerlandais Mart Stam se retrouvent-ils, par exemple, au début des années 1930, sur trois thèmes communs : la chaise, le tube en acier chromé et le principe du… porte-à-faux, pour deux sièges emblématiques. Idem, dans les années 1960, les célèbres boîtes de rangement en plastique dessinées par le Belge Bob Daenen au département Design de Tupperware Belgium n’ont rien à envier aux contenants bariolés en mélamine signés, certes, par un autre Belge, Koen de Winter, mais qui, exception à la règle œuvra aux Pays-Bas pour la firme Mepal.

La dernière section de l’exposition, en l’occurrence la partie contemporaine, fait, elle, l’objet d’un tout autre traitement. À commencer par son installation dans l’aile ancienne du musée, l’hôtel de Coninck. Au lieu des « paravents-drapeaux », ce sont les splendides salles de cet hôtel du XVIIIe siècle qui servent d’écrins aux œuvres. En outre, point de parcours chronologique cette fois, mais un regroupement par familles autour « d’actions simples tirées de la vie quotidienne », telles que : écrire, dormir, grandir, manger… Le contraste entre moulures et lignes contemporaines est du meilleur effet. Sont sur le pont les principaux acteurs du moment, l’équipe néerlandaise – Wieki Somers, Chris Kabel, Bertjan Pot… –, grâce notamment à une politique de design nationale lancée au début des années 1990, évoluant manifestement un cran au-dessus de l’équipe belge (Maarten De Ceulaer, Bram Boo, Charles Kaisin…). Les admirateurs de feu Maarten Van Severen, fantasque et génial designer belge disparu en 2005, grimperont, eux, au dernier étage du musée où une exposition monographique lui rend hommage.

Design Derby

Commissaires de l’exposition : Mienke Simon Thomas, conservateur au Museum Boijmans Van Beuningen, et Frank Huygens, conservateur au Design Museum Gent.
Scénographie : Robbrecht & Daem Architectes
Nombre de pièces : plus de 500

Design Derby, Belgique-Pays-Bas, 1815-2015

Jusqu’au 13 mars 2016, au Design Museum, Jan Breydelstraat 5, Gand (Belgique), rens. : 32 9 267 99 99 ou www.designmuseumgent.be.

Légende photo
Gaston Eysselinck, Chaise de typiste, 1931, acier et bois, collection Design museum, Gand. © Design museum Gent.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : La création belge et néerlandaise face à face

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