Culturisme

Plus de muscle que d’art

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2016 - 467 mots

La Kunsthalle de Zurich consacre une exposition décevante à l’« art » du body-building sans véritable propos et sans les œuvres de référence.

ZURICH - La Kunsthalle de Zurich a beau annoncer la couleur,  « Building Modern Bodies. The Art of Bodybuilding n’est pas une exposition d’art », comme pour mieux se dédouaner d’une présentation peu convaincante, on voit mal ce qu’une exposition dépourvue de visée esthétique aurait à faire dans un centre d’art. Se mêlent ainsi des œuvres qui s’ancrent résolument dans l’univers artistique et d’autres artefacts au statut plus incertain, voire franchement extérieurs à la sphère artistique, comme une machine de musculation censée inviter le visiteur à sculpter son propre corps. Le temps d’une visite, la visée est ambitieuse… Il suffirait pourtant de peu de chose pour que les images présentées aient appartenu à la sphère proprement artistique. Ainsi des clichés représentant la célèbre et sculpturale championne de body-building Lisa Lions qui fut immortalisée par Robert Mapplethorpe et que l’on s’attendait logiquement à voir figurer dans l’exposition, tant son image fait le lien entre le monde du culturisme et l’art. Pourtant, nul cliché original de Mapplethorpe ici, le commissaire et la Kunsthalle par la même occasion se sont paresseusement contentés de réunir simplement quelques exemplaires d’un livre du grand photographe américain consacré à la championne. Comme si rassembler des clichés originaux eût nécessité trop d’efforts. Le visiteur appréciera.

Un propos maigre
Le public souffre également d’un manque de considération avec l’absence totale de cartels, notamment au minimum de simples descriptifs des œuvres comportant, nom et prénom de l’auteur, titre, médium et année de création. Certes, si l’on en fait la demande, on découvre que le simple numéro figurant à proximité des œuvres renvoie à un feuillet de présentation, qu’il faut aller chercher hors de l’espace d’exposition, à l’étage du dessous, pour revenir et disposer enfin d’une médiation quelque peu satisfaisante. Autre écueil, le visiteur français, sans être en rien spécialiste de la thématique du body-building mais familier de l’art contemporain, ne manquera pas de s’étonner de l’absence du travail du culturiste Martial Cherrier (naguère exposé à la Maison européenne de la photographie) sur sa propre image ou des troublants portraits de body-builders de Valérie Belin qui creusait, à travers eux, sa réflexion sur la réalité des corps représentés.

Ceci apparaît d’autant plus dommage que l’exposition entendait illustrer un thème qu’il aurait été intéressant de traiter de façon moins superficielle. L’iconographie historique ici présente montre bien la façon dont le corps musclé idéalisé ou hypertrophié a évolué au fil du temps, tandis que de troublantes images de body-buildeuses, de Rico & Michael (Women Who Lift, 2015) ou de Martin Schoeller, introduisent un sérieux « trouble dans le genre », pour reprendre l’expression de la philosophe Judith Butler.

Building Modern Bodies

Commissaire : Jörg Scheller
Nombre d’œuvres : 21

Building Modern Bodies. Die Kunst des Bodybuildings

Jusqu’au 7 février 2016, Kunsthalle Zurich, Limmatstrasse 270, Zurich (Suisse), entrée 12 CHF (11 €), www.kunsthallezurich.ch.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : Plus de muscle que d’art

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