Clermont-Ferrand veut rattraper son retard culturel

Le maire de Clermont-Ferrand veut intégrer le « Top 15 » des villes

Par David Robert · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2015 - 1432 mots

Selon Olivier Bianchi, maire (PS) de Clermont-Ferrand et président de la commission culture de l’Association des maires de grandes villes de France, sa ville a « longtemps été à la traîne en termes d’attractivité culturelle ». Volontaire, il ambitionne d’en faire la « Capitale européenne de la culture » en 2028 dans une logique inverse à celle de Marseille-Provence 2013. Il dessine par ailleurs une ligne de conduite face à la montée du Front national.

Olivier Bianchi est maire (PS) de Clermont-Ferrand et président de Clermont Métropole. Il est également président de l’EPCC (Établissement public de coopération culturelle) de l’École supérieure d’art de Clermont Métropole. Ancien adjoint chargé des affaires culturelles, l’élu a fait de l’action culturelle l’un des axes centraux de sa politique locale. Il est à ce titre président de la commission culture de l’Association des maires de grandes villes de France, nouvellement baptisée « France urbaine ».

Le 29 janvier, vous étiez le premier à signer le « pacte culturel » proposé par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, aux collectivités. Pourquoi ?
Lors du conseil des collectivités territoriales, qui s’est tenu l’été précédent à Avignon, nous avions évoqué la nécessité d’instaurer un pacte, à l’échelle nationale, qui permette de refonder les politiques publiques à l’aune de la décentralisation culturelle. Comme j’avais personnellement préconisé cette idée, je me devais d’adopter en premier sa déclinaison locale. Le pacte culturel est une réponse conjoncturelle, financière immédiate à la Cartocrise (1). La stabilité signée pour trois ans permet d’aborder sereinement la suite.

Vous venez d’organiser cet automne les « États généraux de la culture » à Clermont. Avec quels objectifs ?
La culture fait partie des trois budgets sanctuarisés (avec l’éducation et les services sociaux) de mon programme municipal. Comme pour les autres actions municipales, nous construisons la politique culturelle, avec pour horizon un nouveau schéma culturel pour la ville. Clermont a longtemps été à la traîne en termes d’attractivité culturelle, mais en quinze ans, nous avons créé ou réhabilité une quinzaine de grands équipements. Nous avons désormais tous les atouts pour intégrer le « Top 15 » en France. Cette montée en puissance se fera dans le cadre de la candidature de Clermont pour être « Capitale européenne de la culture » en 2028. Les états généraux, qui vont déboucher sur une soixantaine de mesures, en sont la première pierre.

On imagine que, pour vous, Lille, par son tissu industriel, sa couleur politique, est davantage un modèle que Marseille ?
Le fantastique élan qui perdure depuis 2004 fait de Lille une inspiration légitime, tandis que l’image de « Marseille-Provence 2013 », très associée aux grands équipements, souffre du syndrome « Jeux olympiques ». Pour éviter cet écueil, notre projet pour 2028 portera exclusivement sur le contenu, dans une logique de soft power. Il n’y aura pas de nouvel équipement. Trois grandes intuitions guident notre projet : l’art éphémère, l’espace public et le travail dans les friches.

Au sein de France urbaine, des maires s’inquiètent de la modification des secteurs sauvegardés contenue dans la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Partagez-vous cette crainte ?
C’est la chronique de la décentralisation : les maires acquièrent le pouvoir qu’ils réclamaient, mais face aux pressions du quotidien (patrimoine d’un côté, promoteurs de l’autre), ils n’auront plus l’appui de l’État et des services en charge des monuments historiques pour justifier les arbitrages difficiles. Plus de pouvoirs, c’est plus de contraintes.

La seconde crainte est la prise de pouvoir des présidents d’intercommunalité sur des sujets comme le patrimoine qu’ils maîtrisent moins que les maires concernés.
En tant que président d’intercommunalité, je milite pour laisser le patrimoine aux maires.

Ce qui veut dire que vous allez proposer un amendement ?
Je vais faire d’abord en sorte que France urbaine adopte une position officielle sur le sujet. Après, il y a le droit et il y a la politique… Le seul schéma toujours efficace, c’est lorsque commune et agglomération collaborent intelligemment.

Ville, intercommunalité, Département, Région… Y a-t-il un bon modèle pour répartir les compétences culturelles entre échelons ?
Faire correspondre à chaque type de projet culturel un échelon a priori est une erreur. Si l’État doit assumer le rôle du régulateur, paradoxalement d’autant plus que la décentralisation prend corps, à l’échelle locale, en revanche, chacun doit agir en fonction de ses envies, mais aussi de son expertise et de ses compétences. C’est pourquoi le changement à venir est sans doute davantage dans la colonisation culturelle des autres politiques publiques que dans une répartition mécanique. Faire réfléchir les Départements à l’impact culturel de leur action sociale ; intégrer la dimension culturelle dans la politique de mobilité des villes. Et ainsi de suite.

Chaque échelon a son guichet de subventions et ses coûts de distribution associés. Le prochain acte de décentralisation culturelle devrait-il être le guichet unique ?
L’idée est séduisante mais représente un danger pour la souveraineté des collectivités. Pour qu’un guichet unique fonctionne, il faudrait permettre une identification des financements et créer une porte d’entrée qui n’oriente pas, consciemment ou non, les stratégies. En outre, on risquerait une double peine, avec des artistes qui contournent le guichet unique pour s’adresser immédiatement au bon interlocuteur – et on retomberait dans un favoritisme qui favorise a fortiori les plus intégrés. Sauf à trouver une solution techniquement imparable, je reste sceptique. Par ailleurs, j’ai historiquement défendu les financements croisés et je reste fidèle à cette idée.

La perspective de l’arrivée du Front national à la tête d’une région terrorise les acteurs culturels. De quels mécanismes de défense le secteur artistique dispose-t-il ?
Avant d’envisager la défense, il faut déjà essayer de contenir la menace. Faire l’union de la gauche partout, et envisager, là où il n’y a pas le choix, l’union avec les autres partis républicains. Là c’est l’homme politique qui parle. Ensuite, Marine Le Pen ne prendra sûrement pas le risque de séismes locaux un an avant les présidentielles. La question qui se posera alors, c’est participer ou résister, et où situer la limite des compromis.

Avec la fusion des Régions, à l’heure où tout le monde cherche à faire des économies, ne risque-t-on pas l’égalité par le bas, dans le soutien à la création ?
Quoi qu’on en dise, le nivellement par le bas n’existe pas. Par définition, c’est un mauvais choix politique ! Le dilemme est autre. Prenons l’exemple de la Région Rhône-Alpes, qui donne entre 200 000 et 500 000 euros à chacune de ses écoles supérieures d’art (Lyon, Saint-Étienne, Annecy, Grenoble-Valence), au prorata du nombre d’étudiants. Chez nous, l’Auvergne ne participe pas au financement direct de l’école d’art de Clermont. Dans la nouvelle région, soit on divise la subvention totale par cinq, et c’est une diminution légère pour une solidarité bienvenue, soit, dans le meilleur des cas, on rajoute le peu qu’il manque pour aligner Clermont sur les autres écoles, une solution pour laquelle je plaide.

Environ 40 écoles supérieures d’art délivrent aujourd’hui un diplôme de master, mais certaines sont en danger. Faut-il assumer une concurrence entre elles et opérer des regroupements pour créer des pôles compétitifs, ou maintenir coûte que coûte le service public d’un enseignement artistique supérieur sur tout le territoire ?
Le futur étudiant en école d’art doit déjà affronter un obstacle symbolique et convaincre ses parents que sa formation mène à de beaux métiers, reconnus socialement. S’il faut rajouter un obstacle financier parce que la première école est à 500 km, on n’aura plus de vocation artistique issue du monde rural. Or l’équité territoriale est fondamentale. Clermont est la seule école d’art d’Auvergne et notre pérennité sert tous les départements situés aux alentours.

La gauche au pouvoir n’a pas réussi, les trois premières années, à empêcher la baisse des budgets culturels. Êtes-vous déçu ?
D’abord, il faut souligner que l’arrivée de Manuel Valls [à la tête du gouvernement] a changé les choses. Il a remis la culture à l’agenda politique et permis de déverrouiller des fonds bloqués. Ensuite, l’enjeu que la gauche n’arrive pas encore à porter, c’est celui, à grande échelle, d’une ambition politique, d’un troisième souffle, dans la lignée de Malraux et de Lang.

Quelle pourrait être cette ambition ?
Le combat pour une Europe de la culture. L’Europe est pour moi la voix politique majeure, il faut lui donner chair et sang. C’est le grand chantier qu’il faut désormais porter.

Note

(1) depuis 2014, la « cartocrise » recense les festivals et projets culturels annulés pour cause de baisse des budgets. On doit cette initiative à Émeline Jersol, qui travaille au Boulon, centre national des arts de la rue implanté au Vieux-Condé (Nord).

Légende photo

Olivier Bianchi. © Photo : Philippe de Paredes/Ville de Clermont-Ferrand.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Le maire de Clermont-Ferrand veut intégrer le « Top 15 » des villes

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