Philosophie

Une funeste éloquence

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2015 - 616 mots

Michel Onfray prend appui sur le thème du cheval pour livrer ici une lecture fort subjective de l’œuvre d’une quinzaine de philosophes. Brillant mais suspect.

Soyons honnête, nous n’aurions pas eu le goût de chroniquer ou même de lire cet ouvrage si son auteur n’avait été Michel Onfray. Cette Brève histoire du cheval philosophique se présente en effet comme une série de reproductions de tableaux ou gravures qui ont de près ou de loin pour sujet le cheval, accompagnées de courts textes faisant référence à un philosophe ou un écrivain. Mais, outre qu’il n’est pas habituel de voir le nom d’Onfray sur un livre d’art, l’homme fait beaucoup parler de lui en ce moment.

Passons rapidement sur le côté un peu superficiel de cet exercice de style, qui, obligeant Onfray à trouver une référence équine dans la vie ou les écrits des auteurs convoqués, s’appuie parfois sur de simples anecdotes. Fort heureusement pour lui, le cheval ayant longtemps été le principal moyen de locomotion des hommes, avant la voiture, il y a matière. Ainsi Descartes figure-t-il dans la liste des invités au simple motif qu’il a « voyagé partout ». En revanche, l’accident de cheval de Montaigne, qui lui a donné l’expérience de la mort et a déclenché la rédaction des Essais, se trouve pleinement justifié.

Règlements de compte
Les commentaires d’Onfray sont de deux ordres. Soit ils résument à grands traits ce qui est l’essence même de la pensée du philosophe, par exemple le « Je pense donc je suis » de Descartes, ou la remise en cause du christianisme par Spinoza, soit ils s’intéressent à la biographie du penseur. Dans ce double registre, Onfray ne cache pas ses sympathies et ses antipathies. D’un côté il s’étend avec une maligne délectation sur un Pascal « chef d’entreprise » (il a inventé et commercialisé une machine à calculer) et « philosophe mondain », qui changea de vie après un accident de carrosse (lui aussi). De l’autre, il a les yeux de Chimène pour Jean Meslier, un « curée athée, communiste sous Louis XIV », lequel, selon l’auteur, présente l’immense mérite de considérer les animaux (donc le cheval) avec bienveillance. On ne peut qu’être d’accord avec ce bon sentiment.

Lorsqu’on lit Onfray, on retrouve le phrasé oral, le rythme, la formule péremptoire de ses conférences données à l’Université populaire de Caen. C’est clair, facile à comprendre, amusant, concret. Bref, pour un non-docteur en philosophie, c’est un bonheur de lecture. Mais c’est justement là le problème. Onfray est un formidable pédagogue et met son talent à régler des comptes ou imposer une lecture, « sa » lecture de la pensée d’un auteur. Il n’aime pas, c’est un euphémisme, Freud et la psychanalyse. Il démonte ainsi le recours par Freud au complexe d’Œdipe pour expliquer la peur des chevaux ressentie par le petit Hans. Car, devenu adulte, Hans donnera une explication toute différente de sa peur. Est-ce une raison pour titrer « l’affabulation freudienne » ? Il y a donc, pour un non-initié, un risque à lire ce livre et ses idées fausses. Onfray connaît bien les chevaux, puisque, on l’apprend dès les premières pages, sa femme Marie-Claude, qui a longtemps souffert du cancer avant de disparaître en 2013, avait une passion pour les chevaux qu’elle allait soigner tous les jours. C’est d’ailleurs en son hommage qu’il a rédigé ce livre, à partir d’une improvisation qu’il réalisa pour le spectacle équestre de Bartabas. Mais, s’il connaît bien les chevaux, il ne semble pas être un cavalier. C’est cette distance-là entre l’observation et la pratique qui jette un doute sur l’ensemble de ses écrits. Ceux-ci ne procèdent-ils pas d’une analyse superficielle et chargée d’a priori envers les grands penseurs ?

Michel Onfray, Haute École, Brève histoire du cheval philosophique, éd. Flammarion, 190 pages, 30 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Une funeste éloquence

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