Artistes, exposés dans le cadre de « Hey ! », à la Halle Saint-Pierre

Mark Ryden et Marion Peck : « Ce n’est pas demain que nous serons exposés au Met ! »

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 8 décembre 2015 - 882 mots

Mark Ryden s’est fait connaître comme illustrateur pour des pochettes de disque, ainsi celle de l’album Dangerous de Michael Jackson.

Avec son univers kitsch peuplé de figures fantasmagoriques combiné à une technique académique, il est devenu la figure tutélaire du « surréalisme pop ». Entre douceur et ironie cruelle, son épouse, Marion Peck, est également actrice de ce mouvement né à la fin des années 1970 en Californie. Les artistes américains sont actuellement exposés à la Halle Saint-Pierre, à Paris, dans le troisième volet de l’exposition « Hey ! », qui réunit 62 créateurs explorant différentes expressions de la contre-culture.

Comment définiriez-vous le « surréalisme pop » ? Est-ce un mouvement qui prend ses racines dans le surréalisme européen et aurait emprunté des éléments de la pop culture américaine ?
Mark Ryden :
Pendant des décennies, aux États-Unis, il n’y avait que l’art conceptuel, il n’y avait aucune place pour la figuration. Dans les années 1980, alors que j’étais à l’Université, un art figuratif inspiré par la culture populaire a explosé.
Marion Peck : Le mouvement du lowbrow art, porté notamment par Robert Williams, a émergé, dans le sud de la Californie, en lien avec la culture du tatouage. Mark, qui n’était pas du tout connecté à cette culture, a ouvert une nouvelle ramification, en effet admirative du surréalisme, mais qui lui est tout à fait indépendante.

Votre processus de création s’appuie-t-il sur une narration ?
M. R. :
Nous finissons à des endroits similaires mais les processus sont très différents. Pour ma part, ce n’est pas vraiment une narration, c’est plutôt un rêve, une sensation, l’image est première. J’ai besoin de voir quelque chose qui déclenche ensuite une idée : un film, un magazine, les Puces, des jouets…
M. P : De mon côté, le processus est plus cérébral que visuel.

Vos toiles sont peuplées d’icônes américaines telles que le président Lincoln ou de figures animales comme l’abeille ou le lapin ; que symbolisent-elles ?
M. R. :
Ce sont en effet des symboles, mais je préfère que les gens les interprètent par eux-même. Il est important qu’une œuvre conserve son mystère.

Pourquoi cette omniprésence de la viande dans vos toiles ?
M. R. :
J’ai toujours été attiré par la viande comme sujet de la peinture. Mais j’ai commencé à la peindre moi-même sans idée préconçue. Nous sommes faits de viande, les animaux sont faits de viande, c’est ce qui permet à nos vibrations spirituelles de conserver un accès à la réalité. En revanche je n’ai pas de motivations politiques, même si je pense qu’un animal doit être traité avec respect.

Vous empruntez beaucoup à la technique académique de la peinture ancienne, notamment celle des XVIIIe et XIXe siècles ; quels sont vos maîtres ?
M. R. :
David et aussi Bouguereau, un peintre considéré comme académique mais dont j’apprécie la technique. Je considère qu’il peint la chair mieux qu’aucun peintre ne l’a jamais fait.

La scène contemporaine actuelle vous ennuie-t-elle ?
M. R. :
Vous parlez de Damien Hirst ou Jeff Koons ? J’aime certaines de leurs pièces et pas d’autres.

Que pensez-vous du fonctionnement actuel du marché de l’art ?
M. P.
C’est devenu bien étrange ces derniers temps, un terrain de jeu pour les plus fortunés. Parfois quand vous allez dans les foires, cela ressemble à l’histoire des habits neufs de l’empereur. Je ne parle pas de la qualité des œuvres mais de cet étrange phénomène culturel, qui voit l’art atteindre des montants fous.

Le monde de l’art accueille-t-il aujourd’hui plus facilement les scènes alternatives ?
M. P. : Quand le lowbrow art et le pop surréalisme ont commencé, il y avait cette idée que nous pouvions changer les choses. Mais en réalité, plusieurs sphères continuent à coexister côte à côte. Ce n’est pas demain que nous serons exposés au Met [Metropolitan Museum of Art, à New York] ! Les choses changent un peu mais très lentement, et davantage en Europe ou au Japon qu’aux États-Unis. C’est amusant car c’est là que ces mouvements ont commencé. Mais le pays reste très attaché à cette idée de « haute » et de « basse » culture.

Est-ce important pour vous d’être un pont entre la culture populaire et l’art ?
M. R. : Je pourrais être simplement heureux d’avoir du succès dans la sphère de la pop culture et ne pas avoir à cœur d’exposer au MoMA ou ailleurs, mais vous souhaitez toujours avoir une place plus élevée ! Mais parfois, à Art Basel, je regarde les stands, puis mes propres œuvres, et je me dis : mais qu’est-ce que je fais là ?

Vous êtes à la fois adoré et détesté, vous êtes la coqueluche des collectionneurs « people » et vous êtes en même temps considéré comme la pire expression du mauvais goût ; cela vous plaît-il ?
M. R. : J’en suis très content ! J’ai récemment lu un article très critique portant sur ma dernière exposition à Los Angeles. L’exposition mettait le journaliste tellement en colère que je me sentais victorieux. Cela signifie qu’en voyant mon travail on est touché d’une façon ou d’une autre.

Vous êtes un couple d’artistes, travaillez-vous ensemble ?
M. P. : Nos ateliers se trouvent côte à côte. Nous nous demandons très souvent conseil, mais nous avons collaboré une seule fois sur une même œuvre, et ce n’est pas notre préférée. Nous préférons une collaboration intellectuelle.

Hey ! Modern art & pop culture, Act III

Jusqu’au 13 mars 2016, à la Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, 75018 Paris, tlj 11h-18h, samedi 11h-19h, dimanche 12h-18h, www.hallesaintpierre.org, entrée 8,50 €. Catalogue, éd. Ankama/619, 39,90 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Mark Ryden et Marion Peck : « Ce n’est pas demain que nous serons exposés au Met ! »

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