Art contemporain

Images en mouvement

Omer Fast. La guerre à distance

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 8 décembre 2015 - 678 mots

Au Jeu de paume, Omer Fast perd de son mordant dans une exposition dominée par sa dernière réalisation, forcée et confuse.

PARIS - S’il est un terrain que laboure particulièrement et depuis longtemps Omer Fast (née en 1972 à Jérusalem), c’est celui d’une forme d’actualité, de faits saillants de la politique ou de la géopolitique qui s’inscrivent dans des narrations filmiques liées à l’intime. Très habilement le plus souvent, des tranches de réel font irruption dans le déroulé et la construction d’une supposée fiction, non sans brouiller les pistes.

Parmi ses réussites, revient à l’esprit le film Nostalgia III (2010) qui, prémonition avant la crise actuelle ?, traitait du problème aigu des migrations vers l’Europe. S’y intercalaient des temporalités distinctes et se produisait un oscillement constant entre des scènes apparentées à la réalité et d’autres clairement ancrées dans le domaine de la fiction.

De l’actualité – ou un semblant d’actualité –, c’est bien ce qui accueille le visiteur en préambule à l’exposition que lui consacre à Paris le Jeu de paume. Dès avant de pénétrer dans les salles, l’œil est attiré par un écran de télévision accroché en hauteur, lequel, d’après la nature des images tournant en boucle – des hommes et femmes cadrés en gros plan face caméra – semble diffuser des nouvelles. La chose est en fait plus complexe : si l’intégralité du contenu donné à voir provient de la chaîne d’information en continu américaine CNN, ce n’est pas l’actualité qui défile là, mais des tranches de réel recomposant un discours potentiellement assimilable à une fiction. Dans CNN Concatenated (2002), l’artiste israélien disait déjà son obsession pour le caractère verbal et la construction du langage. Un montage ultra-précis réalisé à partir de micro-extraits (quelque 10 000 mots) composait un discours à caractère intime et faisait appel à la conscience de l’autre à l’aide d’une terminologie pourtant largement relative à la peur, la guerre ou l’insécurité.
Or, une fois passé le seuil, c’est ici une tonalité toute guerrière qui se répand dans les lieux. Dans 5,000 Feet is The Best (2011), Omer Fast s’intéresse à la guerre menée à distance et met en scène le discours d’un pilote de drone interviewé par un journaliste – il s’agit en fait de l’enregistrement d’un entretien de l’artiste avec le pilote, celui-ci étant joué par un acteur afin de préserver son anonymat. Sans jamais le céder au naturalisme, 5,000 Feet is The Best repose sur un principe de confusion volontaire entre documentaire, réel, imaginaire et fiction, avec parfois des effets surjoués regrettables, comme dans la représentation d’une famille victime collatérale d’un tir de missile.

Langage emphatique
Mais bien plus problématique est la dernière réalisation d’Omer Fast projetée sur un très grand écran, Continuity (Diptych) (2012-2015), à la construction et au langage visuel emphatiques. L’artiste semble perdre pied à force de vouloir pousser plus loin les principes mêmes de son travail. Continuity (Diptych) constitue comme une seconde version de Continuity ; produit en 2012 pour la Documenta 13 de Cassel, ce dernier narre la façon dont un couple allemand qui a perdu son fils en Afghanistan invente et reconstruit les scènes de son impossible retour. Dans ce film jumeau, des séquences et des personnages ont été ajoutés, complexifiant une narration qui n’en avait nul besoin. Avec une durée allongée à 77 minutes, le film est en outre passé à une autre échelle, celle presque du long-métrage, ce qui manifestement ne réussit pas à Omer Fast et a entamé sa précision et son mordant. Si l’on y retrouve toutes les « recettes » et obsessions de l’artiste – les questions de la mémoire et de la réminiscence, le décalage temporel, la répétition, la construction du récit par fragments… – le sujet du film se perd dans un entrelacement compliqué qui paraît plus tenir de la posture. Sans compter qu’une dramatisation parfois trop poussée dans quelques scènes navrantes au pathos mal géré, ou des incrustations discutables à l’artificialité décalée, font finalement de ce film un long moment à passer sans grande palpitation.

Omer Fast

Commissaire : Marina Vinyes Albes
Nombre d’œuvres : 4

Omer Fast. Le present continue

Jusqu’au 24 janvier 2016, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org, tlj sauf lundi 11h-19h, mardi 11h-21h, entrée 10 €. Catalogue, coéd. Baltic Centre for Contemporary Art, Gateshead (Angleterre)/Jeu de paume/Museum of Modern Art Aalborg (Danemark), 208 p., 35 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : La guerre à distance

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