Justice

Collection Gurlitt, l’enquête piétine

La « task force » Gurlitt s’éteint sur un bilan mitigé

La mission chargée d’étudier la provenance des pièces acquises par Cornelius Gurlitt passe la main. Son bilan est maigre : 4 œuvres ont été restituées sur les 500 pièces environ suspectées d’avoir été spoliées.

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 8 décembre 2015 - 817 mots

Seules quatre œuvres sur les 500 pièces de provenance suspecte ont été restituées. Sur ce maigre bilan, la « task force » du gouvernement allemand, chargé d’identifier les œuvres spoliées parmi les 1 500 de la collection Gurlitt, disparaît. Sa mission a été confiée au Centre allemand des biens culturels spoliés. Le legs au Musée des beaux-arts de Berne est, lui, en suspens.

MUNICH - Maigre bilan, exactement deux ans après la révélation au public de l’« affaire Cornelius Gurlitt ». La « task force » chargée de faire la lumière sur la provenance des œuvres d’art a émis une recommandation de restitution pour seulement quatre œuvres spoliées par les nazis. Seules deux d’entre elles ont été restituées à leurs propriétaires légitimes, ainsi du Matisse Femme assise, rendu à Anne Sinclair et aux héritiers Rosenberg. Pourtant, environ un tiers des 1 500 œuvres environ ayant appartenu à Cornelius Gurlitt ont une provenance douteuse.

Face au scandale « Gurlitt » révélé par la presse allemande en novembre 2013, le gouvernement fédéral allemand et la Bavière avaient créé en urgence le « Fonds d’art de Schwabing ». Gurlitt avait accepté de se soumettre à ses recommandations et de restituer les œuvres spoliées. Après son décès, les autorités allemandes ont conclu en novembre 2014 un accord avec le légataire universel de Gurlitt, le Musée des beaux-arts de Berne (Suisse), prolongeant ainsi les travaux de ce groupe de travail international d’un an. Bien que les recherches ne soient pas terminées, la « task force » cessera ses activités à la fin de l’année 2015.

Les investigations sur la provenance des œuvres devraient cependant se poursuivre sous la houlette du nouveau Centre allemand des biens culturels spoliés, mis en place par le gouvernement en janvier dernier à Magdebourg.

Sepp Dürr, membre du parti des Verts au Parlement régional du Land de Bavière, n’a pas mâché ses mots pour qualifier la dissolution du Fonds d’art de Schwabing : « Il n’y a pas de plus grande honte. Presque rien n’est éclairci. La “task force” n’était rien d’autre qu’un simple alibi. » Ronald Lauder, président du Congrès juif mondial, a également exprimé sa déception dans les colonnes de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel : « Lorsque la “task force” a été créée en 2013, beaucoup de gens, moi y compris, étaient optimistes. Nous espérions des résultats rapides. » Il a critiqué le transfert des recherches au Centre allemand des biens culturels spoliés, lequel n’en est encore qu’à ses balbutiements : il n’est opérationnel que depuis avril.

La responsable de la « task force », Ingeborg Berggreen-Merkel, défend quant à elle son bilan. De colloques en entretiens, elle a inlassablement répété depuis deux ans la devise du groupe de travail : « Rigueur au lieu de rapidité. » Le sujet des biens spoliés est un thème trop sensible pour être traité à la hâte, affirme-t-elle. D’autre part, elle considère que l’attention s’est focalisée sur les quatre seules recommandations de restitution d’œuvres spoliées. Oubliant que déclarer qu’une œuvre n’a pas été spoliée constituait également un résultat.

507 œuvres « absoutes »
Lors d’un bilan intermédiaire réalisé en juillet 2015, 507 œuvres avaient ainsi été « absoutes » : 276 œuvres, créées après 1945 ou par un membre de la famille Gurlitt, appartenaient ainsi de manière légitime au collectionneur allemand. 231 œuvres, acquises avant 1933, proviennent de la catégorie « art dégénéré », regroupant les œuvres saisies dans les musées allemands en 1937. Ces œuvres sont exemptes de tout soupçon de spoliation. 465 œuvres potentiellement spoliées par des nazis sont actuellement inscrites sur la base de données « Lost Art » afin que d’éventuels ayants droit puissent se manifester. La « task force » a reçu 113 requêtes de restitution, concernant 104 œuvres (certaines œuvres faisant l’objet de requêtes de plusieurs ayants droit potentiels). Seulement 17 de ces requêtes étaient accompagnées d’une documentation adéquate. Ingeborg Berggreen-Merkel l’admet elle-même, les recherches sur la provenance des œuvres sont loin d’être achevées. Un bilan détaillé sera présenté début 2016.

Héritage incertain
Par ailleurs, le groupe de travail ne délivre que de simples recommandations au ministère de la Culture, lequel restitue ensuite les œuvres après l’accord du tribunal des successions de Munich. Il avait recommandé en octobre 2014 la restitution d’un dessin de Carl Spitzweg, et en février 2015 celle d’un tableau de Pissarro. Ces restitutions n’ont toujours pas été effectuées. Ce bilan mitigé intervient alors que le sort de l’héritage Gurlitt n’est toujours pas réglé. La cousine de Gurlitt a fait appel de la décision de justice qui confirmait le Musée des beaux-arts de Berne en tant que légataire universel du collectionneur allemand. La cour d’appel du Land de Bavière a demandé une expertise psychiatrique indépendante pour déterminer la validité du testament. Cette expertise, dont la remise était prévue fin octobre, n’est toujours pas parvenue au tribunal. Il est probable qu’aucune décision ne sera prise d’ici le début de l’année 2016.

Légende photo

Max Liebermann, Deux cavaliers sur la plage, 1901, huile sur toile, fait partie des oeuvres découvertes chez Gurlitt. La « Gurlitt Estate Task Force » a restitué l'oeuvre aux héritiers du collectionneur spolié. © Sotheby's.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : La « task force » Gurlitt s’éteint sur un bilan mitigé

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