Portrait

Daniel Percheron, futur ex-président de la région Nord-Pas-de-Calais

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2015 - 1880 mots

L’ancien enseignant laisse une région à l’avenir incertain, dans laquelle il a misé sur la culture pour recoudre des territoires déchirés.

À l’élite parisienne, Daniel Percheron adresse volontiers cette requête : « vous devriez accepter 10 % de médiocrité culturelle » – un terme que ce latiniste précise utiliser « dans le sens étymologique » (1). Une étincelle magique doit luire dans cette figure de rhétorique, puisqu’elle lui a permis de faire advenir « le miracle » : attirer dans le Nord-Pas-de-Calais ce qu’il appelle des « marques mondiales », le Louvre, Versailles ou encore l’Institut du monde arabe. Son seul regret : le sentiment d’avoir raté, de quelques jours, un Centre Pompidou provisoire à Maubeuge, juste avant l’élection municipale de mars. Voyant cette antenne « rayonner sur Mons », capitale européenne de la culture de l’autre côté de la frontière belge, il aurait été, assure-t-il, « le plus heureux des présidents de région ».

Yeux d’un bleu gris pétillant, derrière ses lunettes, à 73 ans, ce cacique socialiste du pays minier n’a pas les allures rondouillardes qu’on prête volontiers aux sénateurs approchant la limite d’âge. Il est pourtant un bon vivant, mais aussi un sportif, pratiquant la marche et la natation. Fils d’instituteur, né « à l’ombre de la cathédrale » à Beauvais, en 1942 dans une région bientôt détruite par les bombardements, il a grandi à Lens où il est devenu footballeur, aux postes n° 10 ou n° 11. Autrement dit, milieu offensif ou un peu plus avancé, celui dont on attend qu’il résiste aux attaques, mais surtout joue de sa dextérité pour relancer les ballons vers l’avant-centre. Sans doute est-ce ainsi que Daniel Percheron verrait bien résumer sa mission culturelle.

Car, au terme de quatorze années à la tête de la région, sonne l’heure du bilan. C’est peu de dire qu’il trouve la réforme territoriale bâclée, entre autres quant à son impact sur la culture. Il passe la main dans les pires conditions puisque, au sein d’une gauche divisée, le candidat socialiste est largement devancé dans les intentions de vote par Marine Le Pen, qui pourrait l’emporter. « Si l’on se fie aux sorties violentes contre la culture des élus FN, ce serait un grand recul », déplore le président sortant. La fibre humaniste est restée vivace chez celui qui enseignait l’histoire-géographie à Lens, avant d’entrer dans les ordres du parti mitterrandien. Il est le premier à souligner que son action s’est développée en bonne intelligence avec le chef de l’opposition, Dominique Riquet, dans un domaine qui devrait échapper « à tout esprit partisan ». De même qu’il sut s’entourer pour la culture d’un élu communiste éclairé, Yvan Renart, auquel a succédé Catherine Génisson, louée par les conservateurs pour son ouverture et son franc-parler.

Promoteur du Nord à travers les arts
Parmi tous ses homologues en France, il est celui qui a le plus ouvertement promu les arts. La région, qui compte quatre millions d’habitants, leur consacre 55 millions d’euros par an, le double, proportionnellement, de l’Aquitaine et encore davantage par rapport à Rhône-Alpes. De 2004 à 2010, ce poste a connu une augmentation de près de 20 %. Le Nord-Pas-de-Calais est la province qui comptabilise le plus de musées, près de 200 dont 47 musées de France. Cette carte, reconnaît volontiers l’intéressé, a été jouée par son prédécesseur, Pierre Mauroy, qui dès 1975 négociait des subventions aux scènes dramatiques et musicales en sa ville de Lille – avec comme résultat que, aujourd’hui encore, la région finance 50 % des scènes culturelles de la métropole, déséquilibre dont héritera leur successeur. « En plein choc pétrolier et crise de l’industrie charbonnière, Pierre Mauroy a fait ce choix : lui plus intuitif, moi plus scolaire, nous avons voulu promouvoir cette social-démocratie du Nord, implantée dans les villes et villages, avec la culture comme ambassadrice. L’orchestre national de Lille en a été en quelque sorte notre sentinelle. »

« Les deux hommes ont en effet porté pendant quatre décennies un grand dessein musical », atteste le chef de l’orchestre national de Lille Jean-Claude Casadesus, qui, à 79 ans, va lui aussi passer la main. Il voit Daniel Percheron comme « l’un des derniers grands bâtisseurs, qui a su offrir à l’orchestre un lieu entièrement rénové, où le violoniste Vadim Repin dit avoir trouvé une des plus belles acoustiques. Ce n’est pas facile de défendre de tels investissements dans une région en souffrance. Mais il a compris la nécessité de redonner aux gens une dignité. En voyage, il se révèle un homme modeste, plein d’humour, avec une grande culture. Sa plus grande passion reste le football, mais je n’ai pas oublié que, lorsque nous avons joué la 9e de Beethoven à l’Ossuaire de Douaumont, il a préféré rester avec nous plutôt que d’aller assister à un match du Mondial ; même s’il se faisait communiquer les résultats par son chauffeur… »

L’intéressé ne se gêne pas pour dire que la chanson demeure la musique qu’il préfère, de même que l’art contemporain n’est pas sa tasse de thé. « Peut-être, mais il a tenu son premier discours à l’inauguration de la Piscine, et cela ne l’a pas empêché depuis de soutenir notre musée avec constance. Il croit parfois détenir à l’avance les bonnes réponses, mais, avec lui, il y a toujours un échange », réagit Bruno Gaudichon, le directeur de la Piscine, le Musée d’art et d’industrie de Roubaix, pour lequel le président de région a un faible au point d’avoir rêvé de lui faire incarner le Louvre-Lens. « Avec Pierre Mauroy, nous ne savions pas alors que la culture deviendrait un élément essentiel de la traversée du désert », reprend le vieux militant socialiste. Après la disparition du textile, la fermeture des mines a mis 220 000 hommes et femmes   sur le carreau, dans un paysage ravagé par 700 cités minières en « état déplorable ». L’expression vient d’une étude de l’INSEE, qui assimile l’ouverture du Louvre à Lens, le jour de la sainte-Barbe, patronne des mineurs, à un « symbole de la reconnaissance de la nation ».

« La fin de l’hiver »
Dans cette cité en déréliction, où les taux de chômage sont particulièrement élevés, le visiteur ne pouvait alors espérer trouver ni hôtel, ni restaurant, ni même une navette de la gare. Daniel Percheron est le premier conscient de ces retards, aggravés par les rivalités entre élus et divisions entre socialistes. Mais rien ne le détourne de son espoir, quand il se met à évoquer la grande coulée verte prévue sur le sillon noir, l’ouverture du tramway et le futur RER relié à Lille : « de juin 2014 à juin 2015, le nombre de création d’emplois dans l’arrondissement est le plus élevé de la région, grâce à l’hôtellerie et la restauration. Certes, le Louvre-Lens n’annonce pas le printemps, mais du moins marque-t-il la fin de l’hiver. » Et, à l’adresse des conservateurs des collections nationales, il a cette autre formule : « Acceptez une petite partie de notre désespoir qui se termine. »

Daniel Percheron ne cache pas une certaine fascination pour cette élite politico-culturelle, dans laquelle se distingue la personnalité de Jean-Jacques Aillagon. Il a donné l’impulsion, en décidant en tant que ministre de l’implantation du Louvre, avant de promouvoir l’envoi des carrosses de la Grande écurie de Versailles à Arras, où ils ont attiré 300 000 visiteurs. Quand il est venu visiter le Louvre-Lens avec François Pinault, ce dernier a proposé d’installer une résidence d’artistes dans un presbytère voisin, dont le programme s’ouvre maintenant. Sa collection a aussi été exposée à Dunkerque, alors  capitale régionale de la culture, un label lancé en 2006. Même si les budgets ont baissé de moitié depuis la première édition, « 52 millions d’euros, financés à moitié par la région, ont été investis dans des projets qui n’auraient sans doute jamais été réalisés sans cette opération », lance le conseiller culture de Daniel Percheron, Serge Schneidermann.

Jean-Jacques Aillagon, lui, ne cache pas son admiration pour « cet homme d’exception qui aura marqué le destin de sa région. C’est un excellent orateur, qui s’est battu pour raccommoder des territoires blessés avec beaucoup de conviction, et parfois un certain isolement face aux grands barons du Nord. Quand il dit : aux plus grandes blessures, les plus grands besoins, il conçoit son travail comme un ministère, presque au sens religieux du terme. » Le Louvre-Lens doit aussi beaucoup à l’entente tissée avec Henri Loyrette, dont Percheron parle comme d’« un géant, qui a chaussé des bottes de sept lieues ». C’est lui qui, après avoir porté le Louvre-Lens, a signé l’installation des réserves à Liévin, aujourd’hui en passe de se réaliser en dépit des contestations.
Le président de région regrette néanmoins que les expositions ne soient pas assez tournées vers le grand public, exhortant les conservateurs « à ne pas mépriser le territoire ». Incurable professeur, il verrait bien des expositions autour de la Révolution romaine ou de Robespierre. « Il faudrait nous amener la Vénus de Milo et nous montrer pour trois mois le sourire de la Joconde. On ne va pas nous dire qu’elle ne peut pas prendre le train pendant une heure… » « Au sein du conseil d’administration, il émet parfois des critiques pertinentes, que je comprends et partage même parfois ; mais je dois maintenir l’équilibre des accrochages au Louvre, relève le président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, en tout cas, il se montre toujours respectueux des équipes scientifiques et de leur indépendance. » Ces propositions font néanmoins bondir le journaliste Didier Rykner, relayant les conservateurs mécontents du Louvre : « Ce personnage, qui a fait nommer sa fille au Louvre-Lens, incarne une décentralisation féodale. Tous ces événements sensationnels, qui vident les musées, sont nuisibles à la culture. On ne peut pas citer un exemple d’argent bien dépensé pour les arts. »
« Mais que dire des tournées dans la région de l’orchestre de Lille, des 34 millions dépensés depuis 2004 dans des petits musées, de la mine ou de la nature, ou encore de la réhabilitation de la basilique de Valenciennes et de son pôle des arts de la rue ? », objecte Serge Schneidermann. « Percheron a fait un boulot formidable, s’insurge Dominique Szyumusiak, qui défend l’association des conservateurs de la région, il a soutenu nos expositions collectives comme celle sur la guerre et la paix dans des lieux de mémoire ou celle sur la gravure et le dessin. Il a lancé les “beffrois de la culture” pour présenter des œuvres dans des lieux inattendus. Il a toujours montré beaucoup de chaleur envers les conservateurs, qui souffrent parfois beaucoup des élus locaux. »

À l’heure du départ, lui en est persuadé : « sans Casadesus, il n’y aurait jamais eu Euralille ». Dans son dictionnaire intime, le mot « revanche » n’est jamais très loin de celui de « renaissance ».

Note

(1) mediocris : ordinaire ; littéralement : ce qui se situe dans le moyen terme

Daniel Percheron en dates

1942 : Naissance à Beauvais
2004 : Président de la région Nord-Pas-de-Calais
2007 : Valenciennes, première « capitale régionale de la Culture »
2012: Inauguration du Louvre-Lens, de la première édition d’un programme décennal d’expositions de Versailles à Arras et d’une antenne de l’Institut du monde arabe à Tourcoing
2013 : Inauguration de l’auditorium rénové du Nouveau Siècle de l’orchestre national de Lille

Légende photo

Daniel Percheron. © Conseil régional Nord-Pas-de-Calais.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : Daniel Percheron, futur ex-président de la région Nord-Pas-de-Calais

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