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L’art précolombien, l’autre influence des Albers

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 24 novembre 2015 - 764 mots

Le rapprochement proposé par le Mudec entre les œuvres d’Anni et Josef Albers et l’art précolombien démontre que leur travail ne doit pas tout à la rigueur du Bauhaus.

MILAN - À l’occasion de l’ouverture au public, le 28 octobre, de sa collection permanente d’ethnographie – près de 7 000 pièces datant de 1200 avant J.-C. jusqu’au XXe siècle –, le nouveau Museo delle Culture (Mudec), à Milan, propose en parallèle, dans ses deux salles de présentations temporaires, une fascinante exposition intitulée « A Beautiful Confluence : Anni and Josef Albers and the Latin American World ». Elle met en regard le travail de ces deux grands artistes du XXe siècle ayant participé au mouvement du Bauhaus, en Allemagne, avant d’émigrer aux États-Unis en 1933 : Josef Albers, également designer de mobilier, et Anni Albers, d’autre part designer textile, avec majoritairement des dessins, des peintures, des textiles, des lithographies, ainsi que des photographies et des collages encore jamais montrés, et quelque 150 objets précolombiens que le couple a collectés durant une trentaine d’années. « En un sens, cette exposition ouvre les yeux sur leur œuvre, explique Nicholas Fox Weber, directeur exécutif de The Josef and Anni Albers Foundation et commissaire de l’exposition. « Nous montrons ce que Josef et Anni Albers partagent avec des artisans anonymes qui vivaient des siècles auparavant et qu’ils n’ont donc jamais rencontrés, mais avec lesquels ils ont des choses en commun. » Ses « choses » sont effectivement légion. En témoigne la multitude de « dialogues » ici déployés, dans lesquels l’art abstrait des Albers rivalise avec la rigueur géométrique des civilisations précolombiennes.

Voyages d’étude en Amérique du Sud
L’architecture, évidemment, est force d’inspiration. À chacun de leurs voyages vers « le Sud », sous-entendu du continent nord-américain, Josef Albers déclenche son appareil-photo à tout va. Pris dans les années 1950, ses clichés de la forteresse de Sacsayhuaman et du site de Tampu Machay, près de Cuzco, au Pérou, montrent des murs constitués d’élémentaires et implacables empilements de pierres sèches. Dans les années 1980, ils seront source d’inspiration pour Anni Albers, notamment avec « Murs », série d’aquarelles représentant des appareillages de pierre stricts, n’était-ce le trait tremblant d’une main alors moins mobile. La fenêtre bien orthogonale d’une maison en adobe d’Oaxaca (Mexique), elle, stimulera Josef Albers pour Variant/Adobe : Familiar Front, (1948) peinture qui fait jouer pleins et vides, masses claires et masses sombres. Même jeu d’inspiration entre ces photographies d’ouvertures hautes et étroites ou de murs inclinés, toutes deux prises au Machu Picchu (Pérou), et ces toiles chatoyantes, respectivement Southern Climate et Mantic. Entre 1934 et 1967, les Albers effectuent plusieurs pérégrinations en Amérique latine et du Sud : Cuba, Pérou, Chili, sans oublier le Mexique, contrée fétiche où ils n’effectueront pas moins de treize voyages. Ces séjours ne sont pas simplement d’agrément, au contraire. Dans une vitrine, on peut voir divers cartons de vernissage. En 1934, à La Havane, Josef Albers donne trois conférences au Lyceum Club.

Jeux de géométrie
Après un premier séjour à Mexico, en 1935, il présente, dès l’année suivante, dans la galerie du journal El Nacional, des dessins et des gouaches, sous l’intitulé « Exposicion de Composiciones Abstractas ». Les « compositions abstraites », c’est ce qui rapproche, de fait, les travaux des Albers de l’art précolombien. Bien avant qu’ils fuient l’Allemagne nazie, le couple s’est découvert une profonde affinité avec la culture latino-américaine, notamment à travers la fonctionnalité, la rationalité et la simplicité des formes, notions familières, à l’époque, au Bauhaus. Pas étonnant alors que les géométries stylisées Maya et Inca croisent leurs préoccupations en matière de motifs. En témoignent les très beaux papiers gaufrés Mountainous, signés Anni Albers. Virtuose du textile, cette dernière décline ces jeux géométriques sur nombre de pièces en tissu ici exhibées, telles cette splendide Red and Blue Layers, aux teintes soutenues.

Parfois, pour éclairer cette fameuse « confluence », Nicholas Fox Weber bâtit lui-même de nouveaux vis-à-vis, notamment avec des pièces anciennes acquises récemment par la Fondation Albers. Des « Color Studies » de Josef Albers évoquent ici les nuances éclatantes de cette bourse datant de 900 après J.-C. et habillée de plumes orange et bleues électriques. Dans un même effet de miroir, sa toile To Mitla surplombe une chatoyante ceinture Huari en plumes de colibri comme une évidence.

Anni and Josef Albers

Commissaire de l’exposition : Nicholas Fox Weber, directeur exécutif de The Josef and Anni Albers Foundation, avec Carolina Orsini, conservatrice au Museo delle Culture (Mudec)
Scénographie : Nexhibit Design
Nombre de pièces : une soixantaine d’œuvres d’Anni et Josef Albers et 150 pièces d’art précolombien

A Beautiful Confluence : Anni and Josef Albers and The latin american world

Jusqu’au 21 février 2016, au Museo delle Culture (Mudec), via Tortona, 56, Milan (Italie), lundi 14h30-19h30, mardi, mercredi, vendredi et dimanche 9h30-19h30, jeudi et samedi 9h30-22h30, www.mudec.it. Entrée gratuite. Catalogue édité par la Josef and Anni Albers Foundation, 40 €.

Légende photo
Josef Albers, Front familier, 1948-1952, huile sur masonite, collection Fondation Josef Albers.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : L’art précolombien, l’autre influence des Albers

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