Musée

Réouverture

Le Musée Rimbaud, une invitation à la poésie

Par Nathalie Diot · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2015 - 1112 mots

CHARLEVILLE-MÉZIÈRES

Inauguré cet été, ouvert au public en octobre, le Musée Rimbaud, entièrement rénové, expérimente une formule originale mais périlleuse pour illustrer la vie et l’œuvre du poète..

CHARLEVILLE-MÉZIÈRES - Le nouveau Musée Rimbaud à Charleville-Mézières (Ardennes) se tourne vers le XXIe siècle. Après deux ans de travaux, il a ouvert le 20 octobre, entièrement transformé et remis aux normes.

« Il faut être absolument moderne. » La phrase du poète, érigée en slogan et inscrite en grosses lettres noires au centre du musée, a pris forme dans cette nouvelle configuration des lieux qui a déstabilisé plus d’un visiteur. Rimbaldiens compris. Ils étaient nombreux dès les premiers jours à traverser un musée encore poussiéreux, où quelques détails restaient à finaliser. Et à s’étonner. Béton, peintures contrastées, ambiance métallique, alcôves modulables, hautes vitrines…: la nouvelle muséographie imaginée par le cabinet d’architectes Abinal & Ropars tranche singulièrement avec l’ancien Musée Rimbaud et le Vieux moulin, monument historique du XVIIe siècle, qui l’abrite depuis 1969. Le parti pris des architectes, accompagnés dès la genèse du projet par une équipe d’artistes, propose en effet de « rénover en profondeur le concept du musée littéraire ». Non seulement le moulin n’est pas une maison d’écrivain, Rimbaud n’y a pas vécu, mais le poète lui-même est difficile à cerner : « l’homme aux semelles de vent » a laissé peu de traces durant sa courte vie (1854-1891) et sa brève période d’écriture (1870-1875). Ce qu’il faut assumer face à des visiteurs habitués à parcourir des musées biographiques. « Il ne s’agit pas de faire un musée didactique, mais plutôt de faire entrer dans la poésie, dans l’univers de Rimbaud », résume l’architecte Édouard Ropars.

« Nous proposons notre propre relecture de Rimbaud », expliquait  l’écrivain Stéphane Bouquet, qui a synthétisé cette « sorte d’analyse littéraire » dans un livret salutaire destiné à accompagner la visite. « Dans un grenier où je fus enfermé à 12 ans, j’ai connu le monde. » La première phrase mise en exergue dans ce Carnet d’un itinéraire est de Rimbaud. Et c’est là, au dernier étage du Vieux moulin, que commence le « parcours poétique ». Pas un objet, pas une feuille de papier, pas un écrit, seules des voix rythment un univers bleuté en distillant la poésie de Rimbaud… Une évocation de son poème « Sensation » ?

« Expérience sensorielle »
Le visiteur se doit d’être actif d’emblée, au risque de traverser le Moulin sans comprendre. C’est bien là l’écueil : vouloir à ce point abstraire le poète du temps, désirer à tout prix ne pas le figer, lui fait courir le risque d’échapper au lieu et au visiteur le moins motivé. La vie d’Arthur Rimbaud apparaît, fragmentée, par ellipse, le plus souvent au travers des créations de ceux qui ont connu le poète ou adoré le mythe : un tableau de la ferme de Roche par Paterne Berrichon, le beau-frère, des illustrations de Valentine Hugo, des photographies de Patti Smith, des portraits par Robert Lanz, Cocteau, Picasso…

Tout au long, des indices invitent à « entrer en poésie ». Ici, les « rêveries » autour d’un enfant génial élevé dans une province grise et sévère dont il s’évade grâce aux couleurs de la poésie ; là, la révolution rouge et noire de l’adolescent, qui transcende tous les domaines, littéraire, politique, sexuel ; plus loin, les voyages, l’Afrique et le cabinet de curiosité, dont la configuration très XIXe avec la présentation de reliques (une bourse marquée de son nom, sa malle) rassurera peut-être les plus égarés.

« Nous avons choisi de mélanger des niveaux d’expérience, poursuit Édouard Repars : une expérience sensorielle pure (le grenier, l’escalier, la Meuse, le jardin), une autre autour des reliques et entre les deux une évocation de Rimbaud par l’art d’aujourd’hui et du XXe siècle. » L’intensité de la rencontre avec l’auteur est réservée à la pièce des « manuscrits », où pyramide de verre et faible lumière rouge révèlent le poème « Voyelles », un dessin de la civière imaginée par Rimbaud et une photo de lui-même en Afrique.

En tout, 200 pièces sont exposées sur les 1 200 appartenant au musée. Leur renouvellement devrait s’opérer trois à quatre fois par an. Une invitation à redécouvrir sans cesse le poète et son œuvre.

L’accrochage final échappe au conservateur historique

Une inauguration en juin alors que le bâtiment est encore en plein chantier, des visites estivales malgré les travaux et une tarte à la crème pour le conférencier Jacques Bienvenu… En quatre mois, le Musée Rimbaud aura cumulé quelques anecdotes surréalistes que le poète aurait sûrement su apprécier. Mais tout le monde ne rit pas. Certains rimbaldiens et professionnels de la culture reprochent à la Ville cette cacophonie qui aurait retardé l’ouverture d’un mois et empêché le conservateur depuis trente-cinq ans du lieu, Alain Tourneux, de finaliser l’accrochage des œuvres, ce « jeu de correspondances subtiles » qui crée l’alchimie. Car sa retraite a pris effet le 30 septembre. Frustrant. D’autant qu’il avait prolongé son contrat de deux ans pour accompagner la création. « J’ai accédé à sa demande début 2015 de partir le 30 septembre », a plaidé le maire, Boris Ravignon, agacé par ce procès d’intention. « Nous n’imaginions pas alors que le musée et son accrochage ne seraient pas achevés. Je ne crois pas que ce soit dommageable. La muséographie n’était pas directement le fait de M. Tourneux et il avait aussi des collaborateurs. […] Personne ne l’aurait mis dehors s’il était venu. Je ne sais pas pourquoi il ne l’a pas fait. » N. D.

Un pôle permanent pour la capitale de la marionnette

Après avoir achevé un triptyque consacré à Rimbaud (musée, médiathèque Voyelles et Maison des Ailleurs), la ville de Charleville-Mézières met en marche un autre projet atypique, autour de la marionnette. Le Festival mondial des théâtres de marionnettes attire depuis plus de cinquante ans, tous les deux ans, plus de 150 000 spectateurs parmi lesquels souvent un ministre de la Culture : Frédéric Mitterrand, Aurélie Filippetti et cette année Fleur Pellerin. Un signe fort pour la ville qui souhaite créer un « pôle permanent de la marionnette ouvert au grand public et où l’ensemble des collections pourrait être valorisé ». Un projet d’ores et déjà inscrit au contrat de plan État-Région. Pour l’heure, deux belles salles du Musée de l’Ardenne, situé en centre-ville, accueillent une partie de cette riche collection, le reste étant numérisé sur le portail des arts de la marionnette. On peut aussi y observer les coulisses du « Grand Marionnettiste » (1991), une horloge géante qui conte chaque heure un chapitre de la légende des quatre fils Aymon. Une création du concepteur d’automates Jacques Monestier. N. D.

Musée Rimbaud

Quai Arthur-Rimbaud, 08000 Charleville-Mézières, tél. 03 24 32 44 65, tlj sauf lundi 10h-12h, 14h-18h, entrée 4 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Le Musée Rimbaud, une invitation à la poésie

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