Genre

La peinture féminine prend de l’élan

Par Pauline Vidal · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 588 mots

« Peindre, dit-elle » au Musée de Rochechouart soulève le problème du manque de visibilité des femmes et de leur peinture en France.

ROCHECHOUART - Alors qu’Élisabeth Vigée Le Brun est à l’honneur au Grand Palais, ce sont dix-neuf peintres femmes d’aujourd’hui qui sont sous les feux des projecteurs du Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart. « On expose à Paris une peintre oubliée par l’histoire et ici, des peintres qui vont être oubliées », s’amuse la cocommissaire de l’exposition à Rochechouart, Julie Crenn. « En ce début de XXIe siècle, la place des femmes dans l’art, comme celle de la peinture ne devraient plus être des questions que l’on se pose », poursuit l’autre commissaire et directrice du musée, Annabelle Ténèze. Et pourtant… À simplement comparer les chiffres de leur présence dans les expositions par rapport à celle des hommes, il est évident que les femmes souffrent d’une nette sous-représentation dans les institutions et galeries. Organiser une manifestation avec pour thème principal l’identité sexuelle, n’en demeure pas moins problématique. Certes, mais cela a le mérite de lancer le débat dans une société (et le monde de l’art n’y échappe pas), où l’inconscient collectif est très largement dominé par la norme de l’homme blanc hétérosexuel.

Peinture de figures
Si de nombreuses artistes ont accompagné le mouvement de libération des femmes dans les années 1960-1970 en investissant des territoires encore vierges, comme la performance et la vidéo, celles présentées à Rochechouart travaillent le médium plus « académique » de la peinture, avec une conscience aiguë des questions de formes, d’espace, de couleur inhérentes à ce médium. L’exposition s’ouvre sur un face-à-face entre deux personnages médiatiques : Sissi l’impératrice en train d’être couronnée peinte par Nina Childress et une troublante image de l’héroïne de King Kong supportant un pianiste imaginé par Giulia Andreani. En clôture, on trouve aussi un combat de coachs improbable entre un homme et une femme, représentés par Oda Jaune, ou encore une version féminine de Hulk par Béatrice Cussol. Mais à l’exception de ces clins d’œil humoristiques aux rapports masculin-féminin, aucune des artistes n’affiche une position féministe dans ses tableaux. Là n’est pas leur centre d’intérêt. Nombreuses sont celles qui développent une peinture figurative comme si elles reprenaient le fil d’une tradition perdue. Iris Levasseur réinvente la représentation des gisants, quand Claire Tabouret revisite le portrait de groupe. Coraline de Chiara propose une toile spectaculaire ouvrant sur une réserve de statues antiques. Même si les choses évoluent un peu depuis cinq ou six ans, quand on sait combien la peinture de figures (longtemps taxée de rétrograde, qu’elle soit pratiquée par des hommes comme par des femmes) a du mal à s’imposer dans les institutions françaises (à l’opposé d’autres pays comme les États-Unis ou l’Allemagne), cette exposition n’en est que plus stimulante.

Désertées de toute présence humaine, certaines toiles ouvrent sur des espaces énigmatiques tels ceux d’Élodie Lesourd, de Marion Charlet, de Farah Atassi, d’Eva Nielsen ou de leur aînée Anne Brégeaut. Plusieurs générations se côtoient, et les têtes d’affiche voisinent des quasi inconnues. Ainsi l’on découvre la peinture conceptuelle et abstraite, très surprenante, de Delphine Trouche, « ou quand Varvara Stepanova rencontre Jean Hélion », déclare Annabelle Ténèze. Au final, la sélection qui ne se veut pas exhaustive, demeure subjective, mais elle permet de mettre en lumière la vivacité d’une certaine scène française.

Présentée en parallèle jusqu’au 26 octobre, créant des effets de résonance troublants, l’exposition monographique de Laure Prouvost est aussi à voir absolument. L’art contemporain n’en a décidément pas fini d’entendre parler des femmes !

Peindre, dit-elle

Jusqu’au 15 décembre, Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart, place du château, 87600 Rochechouart, tlj sauf mardi, 10h-12h30 et 14h-17h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : La peinture féminine prend de l’élan

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