Photographie

Histoire

Dans l’objectif subversif des femmes photographes

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 727 mots

PARIS

Les musées de l’Orangerie et d’Orsay racontent la contribution substantielle et méconnue des femmes à la photographie, avec une exceptionnelle et inédite partie consacrée à la période 1839-1919.

PARIS - Contrairement à leurs consœurs britanniques ou américaines, les femmes photographes françaises du milieu du XIXe siècle n’ont pas eu la part belle dans l’histoire de la photographie. Si la Grande-Bretagne a reconnu de leur vivant le talent d’Anna Atkins, de Julia Margaret Cameron ou de Lady Hawarden à l’égal de leurs confrères, et les États-Unis celui de Gertrude Käsebier, Anne Brigman ou de Frances Benjamin Johnston, leurs consœurs françaises n’ont pas eu cette chance. Plus largement, aucune appréhension globale de la production des photographes françaises durant la période de 1839 à 1918 n’a été donnée jusqu’à présent, ni par une exposition ni par une publication. Thomas Galifot, commissaire de « Qui a peur des femmes photographes ? 1839 à 1945 » au Musée de l’Orangerie, répare avec finesse cette négligence, tandis que le catalogue de l’exposition rassemble des recherches inédites, notamment sur les raisons de l’inégalité de traitement et de visibilité donnée dans l’Hexagone à leurs travaux.

Jamais élevée au rang des beaux-arts comme le firent la reine Victoria et le prince Albert, la photographie en France  a souffert de sexisme. Le propos de Thomas Galifot – les relations des femmes à la photographie, depuis l’invention du médium à la fin de la Première Guerre mondiale – est cependant bien plus large. Il engage à une analyse sur la façon dont les femmes en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en France, ont investi progressivement (en quatre-vingts ans) tous les genres et domaines du médium. Pièces exceptionnelles, connues ou inconnues, et cartels parfaitement détaillés donnent la mesure de ce qui s’est accompli durant cette période, tant du point de vue créatif que sociologique. Car « à la différence de ce qui a prévalu en peinture ou en sculptures, aucune structure n’a restreint l’accès à la carrière de photographe en fonction de son sexe, de sa classe ou de son âge », rappelle Thomas Galifot. Pratiquée en professionnelle ou en amatrice, la photographie fut  pour les femmes autant une voie de recherche et d’expression que de subversion et d’émancipation. Des caractéristiques que l’on peut voir énoncées à partir du premier livre illustré de photographies de l’histoire, daté de 1843, et réalisé par la biologiste Anna Atkins (1843), mises en regard de reproductions de fleurs réalisées dix ans plus tôt par Constance Talbot et regroupées dans un album.

Conquête d’une légitimité
« La femme, contrairement à l’homme, pratique pour l’album, pour une consultation intime dans le salon », explique Thomas Galifot. Les photographies extraites de ces albums découvrent l’intimité du salon de lady Frances Jocelyn, le pique-nique de Mary Dillwyn et d’autres scènes familiales ou mondaines, ainsi que des photocollages. Les portraits de Madame Gelot-Sandoz, Maria Chambefort, Amélie Guillot-Saguez, Louise Laffon ou Geneviève Élisabeth Disdéri et les paysages de Madame Breton font appel davantage au métier de photographe. À la différence des hommes, les femmes pratiquent essentiellement à l’ombre de l’atelier. Le portrait ou la reproduction d’œuvre d’art sont des créneaux commerciaux, tandis que l’intime, la chambre ou l’intérieur relèvent du territoire d’expériences féminines qui, de lady Hawarden à Céline Laguarde – figure oubliée de l’histoire – déclinent des facettes subversives méconnues.

La photographie est l’expression de l’émancipation de la femme, et de la modernité du regard. Julia Margaret Cameron ou Gertrude Käsebier, aux chefs-d’œuvre ici présentés aux côtés de pièces moins connues, en sont l’incarnation, tout comme à sa manière Jenny de Vasson, révélée par l’exposition. Quand la photographie se développe dans la presse, les femmes sont sur les rangs au même titre que les hommes. Au Musée d’Orsay, Marie Robert poursuit la réflexion sur l’entre-deux-guerres, période que nombre d’expositions et de publications ont déjà couverte. On ne boude pas pour autant son plaisir devant les pièces réunies, notamment celles de la très fantaisiste Madame Yevonde, qui fut dès 1932 la première à traiter la couleur en Angleterre.

Qui a peur des femmes photographes 1839-1945 ?

Commissariat général : Ulrich Pohlmann, conservateur en chef de la collection de photographie du Stadtmuseum, Munich.
Commissariat : Thomas Galifot, conservateur au Musée d’Orsay, pour la première partie 1839-1919 ; Marie Robert, conservatrice au Musée d’Orsay, pour la deuxième partie 1918-1945
Nombre de pièces : 260 au Musée de l’Orangerie, 210 au Musée d’Orsay.

Qui a peur des femmes photographes ? 1839-1945

Jusqu’au 24 janvier 2016, première partie : 1839-1919, Musée de l’Orangerie, place de la Concorde, jardin des Tuileries (côté Seine), Paris 75001. Tlj sauf le mardi, 9h-18h, www.musee-orangerie.fr. Deuxième partie : 1918-1945, Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur 75007 Paris, tlj sauf le lundi 9h30-18h, jeudi 9h30-21h45, www.musee-orsay.fr. Billet jumelé pour les deux musées : 14 €, valable trois mois. Catalogue d’exposition, coéditions Musée d’Orsay et de l’Orangerie/Hazan, 304 pages, 400 illustrations, 45 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Dans l’objectif subversif des femmes photographes

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