Commémoration

Tzara, l’esprit de Dada

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 757 mots

Dans une démonstration très précise consacrée au poète et écrivain, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg trace pas à pas le trajet d’un révolté.

STRASBOURG - Sur la couverture du catalogue, à côté du titre de l’exposition Tristan Tzara, L’homme approximatif – titre aussi du livre de poèmes le plus riche et hallucinant de Tzara (1933) – se trouve un sous-titre : poète, écrivain d’art, collectionneur. Voilà le spectateur prévenu que celui qui fut à l’origine  de Dada a laissé peu de production plastique. Les quelques petits dessins et l’aquarelle de Tristan Tzara (1895-1963) présentés ici sont plutôt de l’ordre de la curiosité.

Le mérite de la manifestation strasbourgeoise est de faire une démonstration à partir de documents qui retracent les différentes activités de Tristan Tzara, mais aussi à partir d’œuvres d’artistes qu’il a côtoyés tout au long de sa vie. Le parcours est chronologique et remonte aux années passées en Roumanie, sa patrie. Fallait-il pour autant reproduire la photographie des grands-parents de Tristan Tzara ? Quoi qu’il en soit, le jeune homme s’intéresse alors essentiellement à l’art symboliste en vogue dans son pays (Corneliu Michailescu, Fleur de lotus, 1910). Plus important, son engagement artistique précoce est attesté par Le Symbole, la revue qu’il fonde dès 1912, avec Marcel Janco, autre figure principale de Dada, et l’écrivain Ion Vinea.

De rares témoignages
Cependant, même si Tristan Tzara garde pour toujours des liens avec l’avant-garde roumaine, c’est son séjour à Zurich qui le fait entrer dans l’histoire. C’est en 1916, un an après son arrivée en Suisse, en pleine guerre, qu’une « bande de révoltés pacifistes » se constitue autour du Cabaret Voltaire. Leur but : exprimer un ras-le-bol généralisé et construire une nouvelle poétique pour agir. Sous l’impulsion de Tristan Tzara et de Hugo Ball, les acteurs et actrices, hauts en verbes, en gestes, en travestissements et en couleurs, énoncent  une critique radicale du processus de décomposition et de destruction d’une civilisation qui a conduit des millions d’hommes à la mort. Les « performances » organisées au Cabaret sont des spectacles et des manifestations dont l’incohérence et l’outrance scandaleuses cherchent à ébranler les habitudes du public. C’est pour cette raison que les rares photos de ces événements extravagants sont précieuses ; les voir ici permet de mieux comprendre l’audace de ces créateurs, longtemps avant Fluxus ou Joseph Beuys. De même, on y trouve la correspondance d’autres membres de Dada, y compris de ceux qui s’activent en Allemagne (Kurt Schwitters, Richard Huelsenbeck…) avec Tristan Tzara. Outre ces documents, on peut voir les œuvres des artistes qui participent aux activités de ce mouvement et dont certains vont se rapprocher quelques années plus tard du surréalisme.

Engagement poétique et politique
C’est sans doute la Trousse du naufragé, un assemblage de Hans Arp (1920), qui illustre le mieux la logique dadaïste. De fait, les collages et les assemblages sont l’exemple même de la tension entre la construction et la déconstruction, la dérision en plus. Peut-être les pièces les plus remarquables de l’exposition sont celles provenant des arts premiers. Outre leur qualité, ces œuvres venues du Quai Branly attestent tant l’intérêt de Tzara pour des cultures moins valorisées, que sa position anticolonialiste (il signera en 1960, pendant la guerre d’Algérie, le Manifeste des 121 sur le droit d’insoumission). C’est en 1920 que Tzara s’établit à Paris, le nouveau centre de Dada avec Picabia et Duchamp. Toutefois, si le dadaïsme se propage, il perd de son esprit de contradiction et de négation avec la fin de la guerre. On assiste alors à la montée des surréalistes qui occupent le terrain avec André Breton comme leader incontestable, avec lesquels il entretient des relations complexes. Rétif à toute forme d’obéissance, Tzara accepte mal la hiérarchie du groupe surréaliste et publie en 1924 Les Sept Manifestes Dada, un geste de provocation face au Manifeste du surréalisme de la même année. Ruptures et collaborations se succèdent jusqu’en 1935, où il rompt définitivement avec le groupe.C’est pourtant pendant cette période qu’il noue des liens avec de nombreux artistes dont les œuvres sont présentes à Strasbourg. Ainsi, on croise de beaux Max Ernst (Le Rossignol chinois, 1920) ou Strigoï, la somnambule de Victor Brauner (1946), des photographies de Man Ray, des tableaux d’Yves Tanguy ou encore de splendides masques assemblages réalisés par Janco.
Tristan Tzara, qui ne cesse d’écrire des poèmes et de militer au rang du parti communiste, s’éteint en 1963 et laisse la place aux néo-dadaïstes américains, ces lointains cousins, eux nettement moins politisés.

Tzara, l’homme approximatif

Commissaires : Serge Fauchereau et Estelle Pietrzyk
Œuvre : 360

Tzara, l’homme approximatif

Jusqu’au 17 janvier 2016, Musée d’art moderne et contemporain de la ville de Strasbourg, 1 place Hans Arp, 67076 Strasbourg, tél 03 68 98 51 55, www.musees.strasbourg, mardi-dimanche 10h-18h. Entrée 7 €, catalogue 356 pages, 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Tzara, l’esprit de Dada

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