XIXe

Voyage spirituel au pays du Soleil-Levant

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 645 mots

Le MEG de Genève dévoile un pan méconnu du japonisme, la découverte du bouddhisme japonais par les voyageurs européens.

GENÈVE - Visiteur pressé, ne vous laissez pas décourager par le titre ésotérique de la dernière exposition présentée au Musée d’ethnographie de Genève ! Invoquer le fantôme de Madame Butterfly à propos de la découverte du bouddhisme japonais par un cercle d’amateurs d’art et de lettrés à la fin du XIXe siècle a, de fait, quelque chose réducteur. Certes, nombreux furent les Occidentaux qui succombèrent au fantasme de la geisha et collectionnèrent à foison ces bibelots de pacotille qui parvenaient, par cargaisons entières, dans les ports européens. Telle une traînée de poudre, paravents, laques, céramiques et ivoires de facture plus ou moins médiocre envahirent alors les boudoirs et les salons.

De Gauguin à Bonnard, en passant par Degas, Monet, Manet et Caillebotte, les artistes d’avant-garde, quant à eux, puisèrent dans les ukiyo-e (ou « images du monde flottant ») matière à revivifier leur regard, à nourrir leurs propres recherches stylistiques. « Tout mon travail est fondé sur la japonaiserie », écrit ainsi Van Gogh à son frère Théo depuis Arles, le 15 juillet 1888. Aussi regrettera-t-on que la première partie de l’exposition genevoise, en l’absence de prêts conséquents, peine à évoquer l’ampleur et la portée de cette révolution esthétique. Au milieu des affiches, des céramiques et des bonbonnières en porcelaine, se détache néanmoins la série de gravures sur bois signée Félix Édouard Vallotton, d’un graphisme aux accents incontestablement nippons.

Il est vrai, qu’en moins de deux petites décennies, le public des expositions universelles commença à se lasser de ces artefacts japonais produits en masse pour l’exportation que le critique d’art Jules François Félix Husson, dit « Champfleury », affubla du sobriquet de « japoniaiseries » dans un célèbre article paru en 1868…

Le voyage initiatique d’Emile Guimet
C’est un tout autre état d’esprit qui anime une poignée de voyageurs, de collectionneurs et de curieux soucieux de pousser leur « grand tour » jusqu’au Japon pour y goûter, sur place, la profondeur spirituelle du bouddhisme et la beauté sévère de sa statuaire. « Par une curieuse coïncidence des dates, l’Occident découvrait au XIXe siècle cette religion sans Dieu, à une époque où se développaient chez nous l’anticléricalisme et le scientisme », analyse Jérôme Ducor, le commissaire de l’exposition, en charge du département Asie du MEG. Au sein de cet aréopage très distingué de mystiques et de « pèlerins », se détache la figure du Français Émile Guimet (1836-1918). Fils d’un richissime industriel lyonnais, qui inventa le bleu outremer artificiel, et d’une mère peintre, qui l’initie très jeune au goût des arts, Guimet effectue en 1876 un voyage au Japon à l’instigation du ministère de l’Instruction publique pour y étudier les religions locales. Malgré la brièveté de son séjour (à peine plus de deux mois), son choc sera considérable. Non content de collecter auprès des autorités religieuses des manuscrits, des peintures et un ensemble complet des statues du panthéon bouddhique, l’homme caresse déjà le rêve de fonder, à son retour en France, un musée des religions. Ce dernier sera inauguré en 1889, place d’Iéna, à Paris… Témoin de cette odyssée tant spirituelle que scientifique, le Musée d’ethnographie de Genève (MEG) a eu l’heureuse idée de reconstituer la rotonde de la bibliothèque du musée parisien, avec ses milliers de volumes et ses élégantes caryatides. Ce lieu mythique n’accueillit-il pas, en son sein, des cérémonies bouddhiques fort appréciées du Tout-Paris ? Magnifiquement restaurées pour l’occasion, sept toiles du peintre Félix Régamey – qui accompagna Émile Guimet dans son voyage initiatique – reflètent avec éclat ce fol engouement pour l’esthétique nipponne et l’insondable doctrine du Bienheureux. Ces précieuses compositions étaient encore, il y a peu, roulées dans la pénombre des réserves du Musée Guimet.

Le japonisme bouddhique

Commissariat scientifique : Jérôme Ducor et Christian Delécraz
Scénographie : atelier de scénographie Pascal Payeur, Paris

Le bouddhisme de Madame Butterfly. Le japonisme bouddhique

Jusqu’au 10 janvier 2016, Musée d’ethnographie de Genève, boulevard Carl Vogt 65-67, Genève, Suisse, tel 41 22 418 45 50. Ouvert mardi-dimanche 11h-18h. www.meg-geneve.ch. Catalogue sous la direction de Jérôme Ducor et Christian Delécraz, Silvana Editoriale/MEG, 176 pages, 39 CHF (35 €). Entrée 9 CHF (8,3 €)

Légende Photo :
Une fête à Tokyo, affiche pour une vente kermesse, Genève, salle communale de Plainpalais, 1911, lithographie en couleur. 99 x 66 cm, cabinet d'arts graphiques des Musées d'art et d'histoire de Genève. © Photo : Bettina Jacot-Descombes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Voyage spirituel au pays du Soleil-Levant

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