Art brut

La Belgique, terre d’accueil de l’art brut

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 989 mots

Riche de trois musées et d’une multitude d’ateliers de création ouverts aux personnes malades ou handicapées mentales, le Plat pays est un carrefour pour la découverte et la diffusion de l’art brut contemporain.

BRUXELLES, LIÈGE ET GAND - À l’intérieur de l’immeuble industriel, c’est le branle-bas de combat à quelques heures de l’ouverture de l’exposition. Au premier étage, un technicien tamise les éclairages diffusant une lumière pâle sur les portraits hypnotiques de Daniel Sterckx. Au second étage, un autre peaufine l’installation d’une sculpture textile de Pascal Tassini : un enchevêtrement de tissus multicolores noués autour de branches d’arbres.

« À titre provisoire » – c’est le nom de l’exposition – est le fruit de trois mois d’un travail en résidence qui a associé quinze plasticiens avec des artistes handicapés du Créahm de Bruxelles (Créativité et handicap mental), une association créée en 1979. Ensemble, ils ont investi d’anciens ateliers industriels plantés dans un faubourg populaire de la capitale. « Notre objectif est de valoriser les personnes porteuses de handicap mental à travers la création artistique », explique Jeanne Bidlot, la directrice artistique du Créahm Bruxelles, installée dans son bureau aux murs de briques blanches encombrés d’une multitude d’œuvres d’art. Pionnière, la Belgique a été l’une des premières à ouvrir des ateliers artistiques permettant à des personnes malades ou handicapées mentales de s’exprimer en toute liberté. Outre les Créahm de Bruxelles et de Liège, le plat pays compte une ribambelle d’ateliers de qualité intégrés à des institutions comme la Pommeraie, la « S » Grand atelier, Campagn’Art, Mariaheem ou Caritas Melle qui visent tous à favoriser la création, l’échange et le bien-être des personnes.

Art et marges
Coincé entre un salon de coiffure et une sandwicherie, Art & Marges occupe un ancien magasin du quartier populaire de la gare du Midi. L’histoire de ce centre de recherche et de diffusion de l’art outsider, fondé en 1984 à Bruxelles, est intimement liée à ces structures visant à faire la promotion des artistes de l’ombre. « L’objectif était, à l’origine, de créer un lieu à vocation sociale qui permette de rencontrer ces créateurs qui sont écartés de la société, mais aussi une vitrine où montrer leurs réalisations », observe Carine Fol qui a dirigé pendant dix ans cette structure qu’elle a rebaptisée, en 2009, Art & Marges (en lieu et place d’Art en marge) dans une volonté d’ouverture et de décloisonnement. « La notion de marge n’a jamais été synonyme d’exclusion, mais plutôt de position périphérique ou d’écart face au centre », souligne-t-elle. « Avec ses trois musées et ses grands noms de l’art brut contemporain dont Pascal Tassini, Paul Duhem, Sylvain Cosijns, Daniel Sterckx, Martha Grünenwaldt et Serge Delaunay, la Belgique est sans aucun doute un foyer important pour l’art brut », insiste de son côté Tatiana Veress, l’actuelle directrice du musée.

À Liège, capitale économique de la Wallonie, se trouve une autre institution du paysage belge : le MAD. Ce musée dit d’art différencié, créé en 1998, est lui aussi adossé à un Créahm. En travaux jusqu’en 2017, il est en partie hébergé par le théâtre de la ville qui accueille ses expositions temporaires. Cet automne, place aux énigmatiques et saisissants portraits d’Eric Derkenne (1960-2014) qui rappellent la force hypnotique des masques africains. « Au début, dans les années 1980, il suffisait d’être handicapé et de faire du dessin pour faire partie de notre collection qui compte aujourd’hui plus de 2 500 pièces. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus exigeants. Nous recherchons des créations plus personnelles et de grande qualité. Nous possédons notamment un magnifique dessin de Dwight Mackintosh », explique Pierre Muylle. Pour le directeur du musée liégeois, qui planche avec ses homologues sur un projet d’exposition associant les trois institutions du plat pays, le rayonnement de la Belgique tiendrait en effet à la qualité de ses ateliers de création. Ce tropisme explique que les collections belges, riches en art brut contemporain, soient nettement plus pauvres du côté des classiques.

Le Musée du Dr Guislain
Menottes en fer, camisoles de force, crâne trépané… Abrité au deuxième étage du Centre psychiatrique de Gand, le Musée du Dr Guislain possède une impressionnante collection d’instruments de coercition datant de la fin du XVIIe siècle et du début XIXe. C’est en 1986 que le Frère Dr René Stockman, supérieur général des Frères de la Charité et directeur général du centre psychiatrique, a créé le Musée du Dr Guislain dans les faubourgs de cette ville qui fut le berceau belge des soins aux malades mentaux. « Nous avons commencé petit en ouvrant quelques salles centrées sur l’histoire de la psychiatrie et l’histoire de la médecine avant de nous ouvrir à l’art », souligne Patrick Allegaert, responsable des expositions temporaires du musée. Outre l’ensemble dédié à l’histoire de la psychiatrie, l’institution possède une importante collection d’art brut. Celle-ci est exposée en permanence au premier étage d’un bel immeuble XIXe en briques roses et grises articulé autour d’une cour centrale. Le lieu abrite plusieurs collections, néerlandaises notamment, comme celle De Stadshof qui y a trouvé refuge et celle de l’étonnant artiste Willem van Genk (1927-2005). Quelques classiques de l’art brut comme Carlo Zinelli voisinent avec des artistes contemporains, dont Francis Marshall et Alexis Lippstreu, ou récemment disparus comme Nek Chand.

Le Musée du Dr Guislain accueille, chaque année, plus de 70 000 visiteurs séduits par ses expositions temporaires associant psychiatrie, art brut et art contemporain et axées sur les thèmes de la maladie et de la santé, de la normalité et de l’anormalité. Début octobre, les images du photographe néozélandais Robin Hammond, jetant une lumière crue sur les douloureuses conditions d’incarcération des malades mentaux de l’Afrique subsaharienne, étaient à l’honneur au premier étage du musée. Succèdera à ces images poignantes, à la fin du mois, une exposition sur le thème de la honte associant le regard d’artistes modernes et contemporains qui se sont penchés sur le tabou, la timidité, la pruderie, la gêne, le rougissement et les petits plaisirs coupables

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : La Belgique, terre d’accueil de l’art brut

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