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Paroles d’artiste

Bettina Samson : « Le point de vue du spectateur contribue au mouvement »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 octobre 2015 - 716 mots

À la Galerie Sultana, la jeune artiste Bettina Samson prête un caractère malicieusement anthropomorphe à ses sculptures récentes.

Les œuvres récentes de Bettina Samson (née en 1978) explorent une certaine liberté des formes et d’organicité de la sculpture. À voir à la Galerie Sultana, à Paris.

Votre œuvre la plus récente, Anima (Steam Whistles) (2015), qui évoque les sifflets d’un film d’animation, est inspirée par le travail du cinéaste Sergueï Eisenstein. Quel lien établissez-vous entre les deux ?
Ces deux dernières années, pour d’autres œuvres ici exposées, j’ai travaillé sur la forme élastique et la continuité de la forme qui se transforme en permanence, comme si elle était prise d’un mouvement. Cela tient plutôt ici au mouvement du spectateur, car c’est le point de vue de celui qui tourne autour de la pièce qui permet de faire le lien entre les formes dynamiques et contribue à cette impression de mouvement.
J’avais déjà en tête la série de textes d’Eisenstein sur Walt Disney, et parallèlement j’ai un projet de commande publique à Bordeaux qui prendra la forme d’un orgue à vapeur. Or, ce que raconte Eisenstein, c’est que les fixations forment des petites sculptures de vapeur instantanées qui matérialisent littéralement le souffle. J’avais également à l’esprit le film Steamboat Willie de Walt Disney, qui date de 1928 et a été dessiné par Ub Iwerks, où apparaît pour la première fois Mickey. Au début du film on voit un bateau à vapeur sur un fleuve dont les sifflets s’animent au fur et à mesure qu’il avance. Ces sifflets semblent se lancer dans une chorégraphie qui n’a d’autre but que de chanter, danser, avancer, respirer et produire de la fumée. J’ai donc synthétisé trois extraits très rapprochés du film, à des moments de métamorphose. Évidemment dans mes sculptures on ne voit pas la vapeur, mais on peut l’imaginer par le volume de certaines : il y en a une qui paraît gagner en largeur et donc contenir de la vapeur.

Vous parlez de forme élastique et, dans une autre sculpture, évoquant Henry Moore (Kink (More Honour’d in the Breach II et III), 2015), il y a beaucoup d’étirements et de plasticité. Qu’est-ce qui vous conduit à cela ?
Eisenstein employait le terme de « plasmaticité » que je trouve assez drôle, et c’est aussi le prolongement de mes recherches pour une précédente exposition, avec des volumes qui paraissent relever de la sculpture classique et de la taille, alors qu’en réalité je poursuivais ces recherches sur la forme continue. C’est-à-dire qu’il y a des mouvements d’entrelacement, de contorsion, d’interpénétration, de passages de l’intérieur à l’extérieur, mais c’est plutôt comme un cordon qui se déplace et forme une sorte de nœud. Et les choses semblent relever du principe du nœud plus que de celui de la construction. Mais on peut très bien imaginer que c’est réversible et que, comme dans la théorie de la liquidité, cela revienne à la forme précédente.

Il y a dans votre travail des caractères biomorphiques ou anthropomorphes assez marqués. S’agit-il d’une recherche qui vous intéresse spécialement ?
C’est en effet une image que l’on peut avoir, mais j’essaye de ne pas la figer. Pour Anima, j’ai essayé de traduire les dessins d’Ub Iwerks ; ils sont une sorte d’expression assez instantanée et universelle du souffle vital, de la joie, mais en même temps ils peuvent avoir un caractère un peu grinçant parce que c’est mécanique. Le dessin est proche des animations où tout est extrêmement rationalisé et standardisé. Et en même temps ces dessins échappent complètement à cela, c’est assez anarchique, parfois complètement psychédélique.     Les sculptures ont été réalisées par un céramiste car techniquement je n’aurais pas pu le faire moi-même. Mais même si l’exécution est très professionnelle, il y a quelque chose de la main qui contraste avec la forme de ces sifflets, lesquels sont des objets industriels à la base, et cela les rend assez attachants, vivants. Certaines de mes sculptures ne sont pas du tout dessinées, c’est donc au moment du faire que les formes vont se trouver. Pour Anima, j’ai en revanche soumis un dessin sur papier millimétré, tout en sachant que le résultat n’allait pas du tout être industriel. Quand les choses sont déléguées, il se passe toujours quelque chose que je n’attendais pas et que je trouve très bien.

BETTINA SAMSON. SEE THE BRIGHT OPPORTUNITY IN EACH NEW DAY

Jusqu’au 14 novembre, Galerie Sultana, 10, rue Ramponeau, 75020 Paris, tél. 01 44 54 08 90, www.galeriesultana.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Légende photo
Bettina Samson, Anima (Steam Whistles), 2015, faïence émaillée, métal, bois, 300 x 92 x 20 cm. © Photo : Claire Dorn/courtesy de l'artiste et Sultana.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°443 du 16 octobre 2015, avec le titre suivant : Bettina Samson : « Le point de vue du spectateur contribue au mouvement »

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