Mexique

Lola, cette presque inconnue

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 13 octobre 2015 - 716 mots

Lola Álvarez Bravo n’avait jamais fait l’objet en France d’une exposition. La Maison de l’Amérique latine à Paris révèle un talent resté à l’ombre de celui qui fut un temps son mari et complice.

PARIS - La première exposition consacrée en France à Lola Álvarez Bravo (1903-1993) ne devrait pas passer inaperçue. Après le Circulo de Bellas Artes de Madrid dans le cadre de PhotoEspaña 2015, la Maison de l’Amérique latine fait découvrir une œuvre encore largement méconnue, y compris en Europe, les spécialistes de la photographie mexicaine ou de l’avant-garde latino-américaine mis à part. La monographie que lui consacra la Fondation Aperture à New York en 2006 n’a guère permis d’en prendre la mesure. La première rétrospective de son travail, organisée en 1979 à l’Alliance française de Mexico-Polanco à l’initiative d’Olivier Debroise, n’a donné lieu à aucune reprise nulle part. Quant à la rétrospective « Manuel Álvarez Bravo » (1902-2002) accueillie en 2012 par le Jeu de paume, à Paris, elle a fait peu de cas de la première épouse du célèbre photographe mexicain, abordée seulement, y compris dans le catalogue, sous l’angle de « la complice dans la stratégie de diffusion de son œuvre dans le milieu de l’art » et de l’ouverture dans leur maison d’une galerie, en 1931.
Or, découvrir les images de la photographe, c’est immédiatement les rapprocher, pour nombre d’entre elles, de celles de Manuel Álvarez Bravo, et inversement. Plus largement, c’est les associer à la production visuelle de ces années 1930 au Mexique, au sortir de la révolution, c’est-à-dire des travaux d’Edward Weston, de Tina Modotti, de Paul Strand ou d’Henri Cartier-Bresson. Comme le rappelle Gabriel Bauret dans le livret qui accompagne l’exposition, Weston et Modotti ont exercé une influence sur Lola et Manuel Álvarez Bravo qui ont appris côte à côte le métier, le tirage, et qui fréquentèrent les mêmes artistes et écrivains.

James Oles, commissaire de l’exposition, a accroché à l’entrée quelques portraits par la photographe de Diego Rivera et de Frida Kahlo, l’amie dont elle organisa en 1953 la première exposition, à la Galeria de Arte Contemporaneo à México. Il faut prendre le temps de regarder l’entretien télévisé de 1970 où Lola relate la difficile organisation de l’événement et l’émouvante venue de l’artiste mexicaine transportée sur une civière. D’autres portraits sont particulièrement marquants, ceux notamment du peintre Julio Castellanos, de Cartier-Bresson, de Manuel Álvarez Bravo ou de Ruth Rivera Marín, fille de Diego Rivera, allongée sur une plage, tête renversée sur un tronc d’arbre et cheveux longs mouillées aux allures de tentacules. Le Songe, portrait de 1941 de l’actrice Isabel Villaseñor en longue chemise blanche allongée sur un tronc d’arbre, yeux clos tournés vers le soleil, n’est pas sans rappeler La Bonne Renommée endormie (1938) de Manuel. Des différences existent toutefois. Les femmes sont beaucoup plus présentes dans les photographies de Lola, la réalité sociale de son pays aussi.

La photo comme un métier
Mais pourquoi la photographe est-elle restée pendant si longtemps dans l’ombre du grand maître de la photographie mexicaine du XXe siècle avec lequel elle vécut de 1925 à 1934 avant de divorcer en 1949 ? Pourquoi n’est-elle pas devenue aussi célèbre au regard de la grande qualité de ses photographies ? James Oles l’explique par « le positionnement de cette femme vis-à-vis du médium considéré comme un métier » qu’elle exerça dans le cadre universitaire, lors de commandes de la direction de l’éducation et ensuite pour des magazines. Il évoque aussi « le trouble causé par la proximité de leur approche et de leur univers photographique, ouvrant parfois à des questionnements sur l’attribution à Manuel Alvarez Bravo de certaines de ces images réalisées durant leur vie commune ». Les photographies, toutes issues de la collection de la Fondation Televisa, y compris les photomontages, éclairent différentes facettes du travail de cette femme engagée, profondément indépendante et moderne. Mais ces tirages, pour la plupart modernes, tirés pour l’exposition que lui organisa la Fondation en 1992 à México, ne sont qu’une petite partie de l’œuvre, les archives de Lola Álvarez Bravo ayant été acquises en 1994 par le Center for Creative Photography de l’université de Tucson (Arizona).

Lola Álvarez Bravo

Commissaire : James Oles, historien de l’art, spécialiste de l’art, de l’architecture et de la photographie du XXe siècle au Mexique
Nombre d’œuvres : 75

Lola Álvarez Bravo. Photographies/Mexique

Jusqu’au 12 décembre, Maison de l’Amérique latine, 217, bd Saint-Germain, 75007 Paris, tél 01 49 54 75 00, www.mal217.org, tlj sauf dimanche, du lundi au vendredi 10h-20h, samedi 14h-18h, entrée libre.

Légende photo
Lola Álvarez Bravo, Le sommeil (Isabel Villaseñor, 1914-1953), 1941, collection Fondation Televisa, Mexico. © Center for Creative Photography, University of Arizona, Tucson.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°443 du 16 octobre 2015, avec le titre suivant : Lola, cette presque inconnue

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