Paroles d’artiste

Tim Eitel : « Je m’intéresse à la profondeur et la surface de l’image »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2015 - 766 mots

La galerie Jousse Entreprise, à Paris, présente les derniers tableaux de Tim Eitel, dans lesquels l'artiste allemand joue avec l'espace.

À la galerie Jousse Entreprise, à Paris, l’artiste allemand Tim Eitel expose de nouveaux tableaux, qui construisent toujours de savants espaces.

Vous exposez une série de tableaux dans laquelle vous représentez des fragments de sculptures médiévales, des têtes (Head, 2015). Ces motifs proviennent-ils de photos de véritables œuvres ou sont-ils inventés ?
Ils proviennent d’images prises au Musée de Cluny. Il s’agit de fragments de sculptures qui ornaient la façade de Notre-Dame de Paris. Elles ont été cassées à la Révolution, ont disparu et ont été redécouvertes au cours des années 1970. Mais en fait, il faudrait commencer un peu plus tôt, avec le tableau figurant une petite sculpture sur une table basse (Torso, 2014). Cette peinture vient d’une vue dans une maison de l’architecte Luis Barragán, au Mexique. Ce qui m’a intéressé, c’est qu’il y avait là une collection avec des sculptures médiévales, et j’ai été frappé par ce contraste d’époques et de matières entre ces sculptures et l’architecture moderne. En même temps, cela avait du sens, car Luis Barragán était très religieux. Mais comme toujours, quand je peins il ne s’agit pas d’une prise de vue qui est copiée en peinture, mais c’est une sorte de réinvention de ce que je vois. Par exemple là, la sculpture n’était pas du tout sur une table, elle était dans un coin, et j’ai ensuite construit cette image pour inventer ce moment de rencontre.

Réorganiser signifie-t-il que vous interprétez ou réinterprétez ce que vous avez vu ?
Oui c’est une réinterprétation. C’est presque comme si j’essayais de reconstruire un moment magique, le moment où par exemple vous vous promenez dans la rue et voyez quelqu’un ou quelque chose qui vous touche, comme cela arrive parfois. Mais quand vous faites une photo et que vous la regardez ensuite, bien entendu ce n’est jamais là sur la photo, et donc j’essaye un peu de le retrouver. Mais pour ça, il faut parfois construire des images qui sont complètement différentes de cela et qui ont encore quelque chose de cette émotion, d’un sentiment ou d’une atmosphère. Ces « têtes » sont probablement la série où je suis le plus proche de l’original, mais la réinterprétation tient dans la lumière, les fonds, la structure géométrique, les dimensions également, car elles ont ici toutes la même taille, ce qui n’est pas le cas en vrai.

Y a-t-il dans votre peinture une recherche de distanciation d’avec le sujet consécutive à un traitement toujours très lisse de la surface qui, d’une certaine manière, empêche de se projeter ?
Je ne suis pas certain que ce soit vrai. Mais il est vrai que je ne m’intéresse pas du tout au sujet de la peinture elle-même ; montrer les traits de pinceaux, les éclaboussures, tous ces gestes qui ont tendance aujourd’hui à être de la décoration. Je m’intéresse beaucoup plus à l’image, à sa construction et particulièrement aux questions de profondeur et de surface. Ce n’est pas le geste, mais plutôt une surface qui a une profondeur, car c’est fait avec beaucoup de couches en fait.

Précisément, vos tableaux donnent le sentiment que l’espace, plus que le motif, semble finalement être la composante la plus importante de votre peinture. Est-ce le cas ?
Oui bien sûr, l’espace et l’ambiguïté de l’espace. Car je crois que c’est un sujet primordial de la peinture. L’ambiguïté entre surface et profondeur, donc il y a un espace, mais en fait il n’y en a pas car c’est juste une surface. Et en même temps j’ai remarqué que les espaces que j’ai construits sont très définis et à la fois peu profonds ; presque comme si on pouvait toucher le fond. Il y a donc une profondeur, comme dans un bas-relief, car l’espace avance rarement.

Vous avez déclaré : « Une peinture est finie quand il ne reste rien à enlever. » Est-ce à dire que votre peinture procède par soustraction plus que par adjonction ?
Je fais les deux. Dans une première phase, il y a plutôt des ajouts, je commence par un élément et lentement d’autres se construisent autour. Cela peut par exemple être une figure, puis un intérieur, un paysage et après peut-être une autre figure. Mais j’élimine beaucoup ensuite, car je n’aime pas le superflu, les petits détails qui essayent de raconter leur propre petite histoire de leur côté. Et je cherche aussi une concentration, que ce soit vraiment très dense et concentré. J’ai remarqué que souvent, s’il y a trop d’histoires ou de choses qui se passent cela enlève une énergie.

TIM EITEL. TOMORROW, 2 SECONDS LATER

Jusqu’au 31 octobre, Jousse Entreprise, 6, rue Saint-Claude, 75003 Paris, tél. 01 53 82 10 18, tlj sauf dimanche 11h-19h, lundi 14h-19h.

Légende photo
Tim Eitel, Head (Young Man), 2015, huile sur toile, 22 x 25 cm. Courtesy de l'artiste, Galerie Eigen Art, Leipzig/Berlin, The Pace Gallery et Galerie Jousse Entreprise, Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°442 du 2 octobre 2015, avec le titre suivant : Tim Eitel : « Je m’intéresse à la profondeur et la surface de l’image »

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