Histoire

La mise en examen de Gérard Lhéritier

Ponzi : le secret de la pyramide

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2015 - 857 mots

Le marchand de manuscrits Gérard Lhéritier est accusé d’avoir repris le système dit « de Ponzi », ce qu’il conteste. Mais qui est ce « Ponzi » dont le nom fait le tour du monde ?

Aristophil a été mise en liquidation en août 2015, après la fermeture de ses comptes par le parquet qui reproche à la société de vente de manuscrits d’avoir monté une « pyramide de Ponzi ». Son fondateur, Gérard Lhéritier, récuse cette accusation. Pour son avocat, Me Francis Triboulet, il ne mérite pas le surnom de « Madoff français » : « Madoff vendait du vent, tandis qu’Aristophil reposait sur des biens, des trésors du patrimoine. » En proposant au moins 8 % d’intérêts par an, il aurait simplement pressenti la hausse d’un marché sous-évalué.

L’histoire de Ponzi a été peu relatée en France. Né en 1882, ayant cumulé quelques dettes auprès de la Mafia, Carlo Ponzi quitte Rome pour Boston en 1903. Là, il travaille comme plongeur, serveur ou employé, toujours un peu escroc sur les bords. De petite taille, parlant avec les mains, Charles Ponzi est un charmeur. En 1907, à Montréal, il séduit un commerçant en cigares, Luigi Zarossi, le convainquant de proposer aux immigrés un compte d’épargne, assorti d’intérêts d’un taux de 6 %, le double de la normale. La chute de la banque est brutale. Pour avoir falsifié le chèque d’un client, Ponzi est condamné à trois ans de prison. Il purgera encore deux années au pénitencier d’Atlanta pour trafic d’immigrés. Revenu à Boston, il projette de lancer un magazine économique en plusieurs langues, mais la Hanover Bank lui en refuse le crédit et finit même par clôturer son compte.

Collection philatélique
Ponzi a une passion : sa collection de timbres. Il a une révélation en recevant une lettre d’Espagne contenant un coupon, qu’il peut changer contre un timbre pour envoyer sa réponse. Ce système a été instauré en 1907 par l’Union postale universelle pour faciliter les échanges au moment des grandes vagues d’émigration. Mais les monnaies européennes se sont dévaluées. Si bien que son correspondant a payé l’équivalent d’un cent un coupon qui peut être échangé contre six cents de timbre à l’US Postal Service. Grisé, il emprunte pour installer un bureau qui spéculerait sur ces différences de cours (aujourd’hui, on parlerait d’« arbitrage »).

Aux alentours de Noël 1919, il ouvre un guichet, proposant à ses clients 50 % d’intérêts en trois mois. Le succès est fulgurant. Dès janvier, il embauche du personnel pour tamponner ses certificats. En avril, il engrange 140 000 dollars, en mai le triple, en juillet plus d’un million par semaine, l’équivalent de 10 millions d’euros actuels. Multipliant les dépôts dans les banques, il s’octroie une belle revanche en prenant le contrôle de la Hanover. En mai, il s’offre une résidence avec piscine. Reçu dans la haute société, multipliant les actions caritatives, il est célébré par les médias, qui, avec les banques, jouent un grand rôle dans son ascension – et dans sa chute.

Car, le 27 juillet 1920, le quotidien américain The Boston Globe tire la sonnette d’alarme en alertant le lecteur par rapport à une promesse illusoire d’intérêts. L’US Postal enregistre journellement 8 dollars d’échange de coupon : d’où vient l’argent ? Menaçant d’engager un procès pour diffamation (un grand classique), Ponzi rétorque que ses transactions se déroulent en Europe, les bénéfices revenant par des circuits qu’il préfère garder comme « son secret ». En réalité, 27 000 coupons ont été produits dans le monde, il en aurait fallu 160 millions pour couvrir ses opérations. Il a vite abandonné l’idée de jouer sur les cours : il paie les sortants avec les entrées. Lui et ses courtiers persuadent surtout la plupart des clients de rester dans le système en rachetant des certificats, si bien qu’il n’a même plus besoin de les rembourser.

Les deux mêmes reproches sont adressés à Gérard Lhéritier, à la différence notable que ce dernier a constitué un fonds de manuscrits. Ce n’est pas leur existence qui est contestée, mais leur valeur, qui serait disproportionnée. La dispute juridique tournera autour de cette question, son défenseur faisant valoir que tout commerçant est libre de fixer son propre bénéfice.

Quand les investisseurs affluent pour se faire rembourser, Ponzi sort deux millions de dollars en deux jours (une vingtaine de millions d’euros d’aujourd’hui). Il offre des beignets et du café aux gens faisant la queue. Ses employés distribuent les piles de billets, un pistolet en évidence sur la table. Mais le Boston Post révèle qu’il a fait de la prison au Canada. Son propre attaché de presse se retourne alors contre lui, alertant le parquet et publiant un article intitulé : « Ponzi est insolvable ». Ce dernier met au défi le procureur d’ordonner un audit. Celui-ci gèle ses opérations. Le 13 août, il est arrêté. La Hanover entraîne une demi-douzaine de banques dans la faillite. Deux fois condamné, mêlé à de nouvelles arnaques, renvoyé en Italie, Ponzi finira ses jours à l’hospice à Rio. Au Boston Globe, en 1948, avant de mourir, il se vantera d’avoir « offert à l’Amérique son plus beau spectacle depuis le Mayflower ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : Ponzi : le secret de la pyramide

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